« Une rencontre nous a donné envie de partir, un livre nous a envoyé en Algérie », c’est par ces mots qu’Anne et Hubert Ploquin débutent le récit des 18 mois qu’ils ont passés à Tibhirine entre décembre 2011 et juin 2013. Au début de leur retraite, une amie partie au Congo Brazzaville avec la Délégation catholique de la coopération (DCC), leur raconte sa mission. Une idée surgit : « Et si nous aussi nous partions ? ». Et pourquoi pas le Congo puisqu’Hubert y est allé autrefois en coopération. Les contacts sont pris avec la DCC, mais un coopérant s’y trouve déjà et il n’y a pas de poste de libre. Le livre de Jean-Marie Lassauce « Le jardinier de Tibhirine » emprunté par Anne à la bibliothèque paroissiale leur dicte leur destination : ce sera Tibhirine. Mais est-ce possible et comment faire pour prendre contact ? L’oncle cistercien d’Anne les renseigne, le dossier est monté, Anne et Hubert suivent une formation en juillet 2011 et s’envolent pour Tibhirine en décembre 2011.
Partir, mais pour quoi faire ?
Leur mission : être une présence chrétienne en terre musulmane et accueillir les visiteurs de plus en plus nombreux à vouloir à visiter le monastère depuis la sortie du film « Des hommes et des dieux ». Mais ce mot « mission », Anne et Hubert ne l’emploient jamais à Tibhirine, car il peut être compris comme une volonté de prosélytisme. Et pour que le monastère ne soit pas fermé par les autorités, ils ont dû être prudents dans l’utilisation des mots.
Leur vie de tous les jours est à la fois toute tracée et totalement imprévue : prière dans la chapelle tous les matins, entretien des lieux et … accueil à tout moment des visiteurs, seul ou en groupe. Trois mille visiteurs se sont rendus à Tibhirine en 2012. Qui sont-ils ?
Tout d’abord, des algériens qui viennent faire mémoire des moines, de « leurs » moines comme ils les nomment et qui s’excusent au nom du peuple algérien. Des sept moines assassinés, ils connaissent surtout frère Luc, médecin pendant 50 ans, frère Christophe, l’agriculteur et frère Jean-Pierre, le portier. Première découverte : algériens et français ne connaissent pas les « mêmes » moines.
Viennent ensuite les étrangers – français restés en Algérie, hommes politiques, ambassadeurs et groupes de catholiques- qui, marqués par la sérénité et la beauté du lieu, se mettent spontanément à parler en vérité de ce qui fait leur vie, de leurs petits tracas comme de leurs grandes souffrances. Le monastère de Tibhirine, apparemment vide depuis le départ des moines, est un lieu plein d’espérance.
Pendant 18 mois, Anne et Hubert ont pris les chemins de la rencontre et ont vécu un « dialogue de vie ». Ils ont rencontré et dialogué avec les familles de quelques-uns de leurs frères musulmans et découvert leurs vies de croyants. De même, la vie de prière régulière d’Anne et Hubert ont interrogé leurs frères musulmans : « Pourquoi ne devenez-vous pas musulmans pour que nous puissions nous retrouver au paradis ? » Certains ont demandé à prier au cimetière où sont enterrés les sept moines assassinés. Petit à petit, des liens de respect mutuel se sont noués. Anne et Hubert disent avoir beaucoup reçu, mais que leurs mots ne pourront jamais exprimer toute la richesse de ces dix-huit mois. Leur joie : que leur aventure spirituelle se poursuive après leur départ. Un nouveau coopérant est arrivé. A lui d’être le nouveau maillon de cette chaîne de chrétiens présents en cette terre musulmane.