Fil actu : « Racontez-nous les hommes »

Le regard de la journaliste

« Raconte-moi l’homme ». Racontez-nous l’homme. Voilà une belle invitation pour un quotidien comme le nôtre. Une invitation que ses lecteurs pourraient lancer à l’équipe de rédaction. Un beau projet éditorial. Racontez-nous « les » hommes, préfèrerait-on dire, pour mieux signifier que ce qui nous intéresse, ce n’est pas un homme abstrait, absolu, avec un H majuscule, mais ce sont les hommes et les femmes de ce temps, ici et ailleurs. Les hommes tels qu’ils sont et non pas comme nous les rêvons. C’est pourquoi je me sens, finalement, dans mon rôle de journaliste (ces sortes d’éponges qui aspirent le fil de l’eau de l’actualité et le restituent, quand ils font bien leur travail, à ceux qui les lisent), en vous livrant ce billet quotidien, en essayant de relier les informations distillées par l’actualité aux travaux qui se vivent au cours de ces journées de l’Université européenne assomptionniste (l’ai-je bien dit, Robert ?).

J’ai donc parcouru pour vous le fil des dépêches de l’AFP, l’une de nos sources d’information, notamment en matière internationale, et relevé un certain nombre de faits, des petits et des plus importants, qui me semblent avoir quelque chose à voir avec ce que nous avons entendu aujourd’hui. Vous êtes là avec vos propres histoires, nous a rappelé le P. Vincent Leclercq, et vos histoires particulières vont trouver leur place, naturellement, dans cette université. Permettez-moi de faire entrer aussi les histoires de quelques autres, qui ne sont pas là physiquement mais se trouvent au cœur de nos débats. Parce que, on nous l’a dit aussi, la spécificité de l’homme, c’est d’être en relation avec les autres, de les regarder, de compatir avec eux… « Raconter pour se sentir relié ».

La difficulté du narrateur-journaliste, c’est que souvent, ses récits sont des récits de mort, de souffrances, récits du « mal » dans l’homme. Ce mélange, disait Catherine Perrotin, de l’humanité et de l’inhumanité, de la construction et de la destruction. L’humanité de l’homme se trouve aussi dans sa « méchanceté » , nous a dit en substance Jean Louis Schlegel.

Dans l’actualité « ordinaire » de ce jour. Dans ce présent omniprésent (exagérément présent, mais notre ambition n’est-elle pas de détecter les sujets réellement importants pour l’avenir), que retiendrai-je ?

L’annonce par une équipe de chercheurs américains de travaux sur les cellules-souches qui n’impliquent pas la destruction d’embryons surnuméraires. Je n’entrerai pas dans le détail de la nouveauté scientifique (la technique s’appuie sur celle qui permet de faire un diagnostic pré-implantatoire). Cette avancée ne lève pas toutes les questions éthiques (il faut toujours passer par l’étape des fécondations in vitro), mais elle est le signe que l’on peut continuer la recherche dans ces domaines en prenant en compte les questions éthiques qui se posent et notamment « la » grande question, l’une des ruptures évoquées par plusieurs intervenants, quand l’embryon humain devient materiau de recherche. Même pour un bien futur annoncé, la question vaut d’être posée et pas seulement, comme le font toutes les dépêches d’agence, pour pouvoir contourner l’opposition du président Bush !

L’humanité solidaire, c’est aussi la mise en place de la Finul – l’Europe semble avancer unie dans la composition de cette force d’interposition après la décision française et une réunion des 25 avec Kofi Annan -. Et les Italiens, enthousiastes, de proposer : si cela marche au sud du Liban, pourquoi pas à Gaza ? Il a fallu du temps, il a fallu un paroxysme de violence, mais peut-être… Un journal américain annonce par ailleurs que le gouvernement des Etats-Unis enquêterait sur l’usage par Israël de bombes à sous-munitions. Ces bombes qui en dissimulent d’autres et restent dangereuses après le départ des combattants.

Au Sri Lanka, les violences perdurent. 200 000 personnes, selon des chiffres de l’ONU, ont dû fuir leurs villes et villages du fait des affrontements entre l’armée et les rebelles tamouls. Des mois de négociations qui avaient fini par permettre un cessez-le-feu et la reprise des pourparlers, ont échoué. Aujourd’hui, un navire humanitaire est arrivé dans le port de Jaffna, ville du Nord, coupée du monde.

Aux Etats-Unis, un condamné à mort a été exécuté dans l’Etat du Texas. C’est le 39è depuis le début de l’année et 3 300 condamnés attendent dans les couloirs de la mort. Il est accusé d’avoir tué, alors qu’il avait 18 ans en 1997, un jeune homme de son âge. Un homme n’est pas réductible à ses actes, nous a-t-on rappelé. Il répond de son action, mais ne se résume pas à cet acte. « Il y a toujours l’espoir d’une transformation. » L’exécution met un point final à cet espoir.

Deux petits faits, moins graves, en résonance avec ce que nous avons entendu ce matin. Les dépêches nous parlent d’une clinique pour oiseaux installée en plein cœur de Delhi. Elle fonctionne depuis des années et reçoit énormément de dons. C’est normal, explique son directeur, « c’est une cause humanitaire ».

Et puis le score réalisé par un jeune Français qui vient de passer 2 400 heures (100 jours !) rivé à son écran, sur un jeu World of warcraf, un jeu en réseau qui demande beaucoup de disponibilité (sauf le samedi soir, réservé aux sorties). Il va, dit-il au journaliste qui l’interroge, « revenir à la vraie vie ». Moi j’avais vécu avant, précise-t-il (il a 22 ans) mais je m’inquiète pour les adolescents qui deviennent « accros ». Dans un centre de désintoxication, à Marmottan à Paris, on appelle les personnes en situation de dépendance par rapport à ces jeux, les « no life », les « sans vie ».

Et puisque l’invitation nous est faite de bâtir un monde plus humain. Cette information, apparemment si banale au Libéria, cette semaine, des bureaux de poste vont rouvrir et des timbres vont être émis. Le Libéria, petit pays de l’ouest africain, a vécu des années d’une atroce guerre civile, depuis 1989. Des élections ont eu lieu qui ont permis l’arrivée de la première femme, présidente d’un Etat africain . Des infrastructures inexistantes, une population déchirée, des enfants marqués à vie, toute une société, un vivre ensemble à reconstruire. Et le miracle d’une poste que l’on veut faire fonctionner, des lettres qu’on échange.

« Dieu se plaît dans ce monde » , nous a rappelé à l’écran le théologien Jean-Louis Souletie. Ce monde tel qu’il est, dans ces destructions et ses reconstructions.