Texte de l’homélie du P. Benoît Grière, provincial de France des assomptionnistes, au cours de la messe de clôture de la IXe Université d’été de l’Assomption, dimanche 31 août 2008, à Valpré. (22e dimanche du temps ordinaire, année A).
Frères et sœurs,
Nous venons de passer trois jours à réfléchir sur les frontières de l’humain. Trois jours de débats où nous avons découvert les avancées prodigieuses réalisées grâce aux découvertes scientifiques, mais aussi trois jours où nous avons contemplé avec vertige les défis qui étaient posés à notre humanité à cause du progrès. Il est bon, au terme de tous ces échanges, que ce soit la parole de Dieu qui retentisse. Parole qui est là pour éclairer et pour guider, parole qui ne condamne pas, mais qui donne à l’homme le moyen d’avancer sur la route avec le cœur rempli d’espérance.
Aux frontières de l’humain, tel était le titre de notre Université. Peut-être avons-nous à réfléchir au sens du mot frontière ? L’actualité nous donne une réponse : la Russie a envahi la Géorgie, elle a franchi les frontières de ce pays pour le menacer. Une frontière est donc une limite donnée par les hommes pour respecter une intégrité. La science a-t-elle besoin de frontières pour déterminer là où se trouve l’homme ? J’espère que nous avons engrangé des éléments pour mieux comprendre l’enjeu de cette question, mais ce matin, je voudrais réfléchir avec vous sur une frontière, celle qui existe entre l’humain et le divin, entre l’homme et Dieu. Le Dieu auquel nous croyons est un Dieu qui a franchi la frontière. En Jésus Christ Dieu s’est fait homme, abolissant ainsi la distance infini qui nous séparait de lui.
La semaine dernière, dans l’évangile de dimanche, comme dans celui d’aujourd’hui, nous entendions Jésus posait la question de son identité : « Pour vous qui suis-je » et c’est Pierre qui dévoila la réponse : « Tu es le Fils du Dieu vivant. » Oui, Jésus est le fils du Dieu vivant, mais il est aussi l’homme qui est venu marcher sur notre route et assumer notre humanité jusque dans la mort. Le Fils de Dieu est cet homme-là qui avance vers Jérusalem n’écartant rien de ce qui affecte la condition humaine : la peur, la souffrance et la mort. Dans tous nos échanges, je me suis souvenu que notre humanité était vécue par Dieu et qu’elle ne lui était pas étrangère, comme si elle demeurait de l’autre côté de la frontière. Dieu comprend notre humanité, Dieu parle notre langue, Dieu sait de quoi nous sommes pétris. Cela est une bonne nouvelle et nous devons repartir de cette UEA avec cette espérance : rien d’humain n’est étranger à Dieu.
Jésus est venu sur notre terre pour nous donner sa vie. Quand il monte vers Jérusalem, il sait qu’il va vers le terme de sa marche et qu’il trouvera la mort. Le message de Jésus n’est pas un message de toute puissance, mais de faiblesse. Quand Pierre, croyant bien faire, promet à Jésus de se battre afin de lui éviter la mort, il lui demande vigoureusement de n’en rien faire. La vie nous y tenons, mais nous y tenons parfois comme à une idole. « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera ». Perdre sa vie à cause de Dieu, c’est gagner la vie de Dieu en échange. Si Dieu s’est fait homme, c’est pour que l’homme participe pleinement à la vie de Dieu. Les Pères de l’Église n’ont pas hésité à dire que l’homme était appelé à « devenir Dieu », à être divinisé ; et à Lyon, comment ne pas évoquer la figure de saint Irénée qui a si bien formulé la vocation de l’homme : devenir Dieu.
Alors, nous connaissons la route, nous connaissons le terme, mais comment y arriver ? Prenons appui sur saint Paul, puisque nous venons de l’entendre dans la lettre aux Romains. « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » Et Jésus dit aussi au brave saint Pierre : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».
Notre humanité est un projet, elle n’est pas achevée. Quand Dieu créa le monde, il créa l’homme, mais il l’associa d’une manière toute particulière à son projet de création en le faisant à son « image et à sa ressemblance ». Dieu fait de nous ses partenaires privilégiés et nous sommes pleinement associés à son œuvre. L’homme est là, mais il est aussi marqué par le péché. Le Christ est venu pour achever, compléter notre humanité. Nous sommes invités, comme le dit saint Paul, à « nous transformer » et pour cela il nous faut renouveler notre façon de penser pour découvrir ce qui est bon, ce qui est parfait. Les chrétiens dans ce monde sont les témoins d’une pensée ouverte et généreuse. Une pensée qui introduit l’autre dans sa réflexion, une pensée qui laisse de la place aux frères et à Dieu. L’unique commandement d’amour est ce qui nous permet de renouveler notre façon de penser. Le commandement d’amour fait de nous des hommes nouveaux.
Renouveler notre façon de penser, nous avons essayé de le faire au cours de l’UEA. Et pour cela, il n’y a que le message du Christ pleinement vécu et assumé par chacun qui permet cette transformation vitale de tout notre être. Jésus nous demande tout simplement de fonder notre vie uniquement sur l’amour et non sur la puissance, la possession, la gloire ou la violence.
Dieu a franchi la frontière du ciel pour nous faire entrer dans son Royaume. Notre vocation est bien de participer pleinement à la vie trinitaire, en commençant dès ici-bas à tisser des relations qui ont valeur d’éternité. L’amour est cette force qui permet, au-delà de nos faiblesses, de notre péché, de triompher de la finitude est d’entrer dans la vie. J’évoquais, il y a quelques instants, la figure d’Irénée de Lyon. Un autre Lyonnais mérite d’être cité, François Varillon. Il y a tout juste 30 ans, en 1978, que ce jésuite décédait. Une maxime revenait constamment dans ses conférences : « Dieu divinise ce que l’homme humanise ». Notre baptême nous pousse à aller plus loin dans notre humanité. Celle-ci est belle mais inachevée. Libérés du péché, nous allons de plus en plus devenir des hommes selon la volonté de Dieu. Continuons de nous humaniser. Continuons de travailler à l’humanisation de tous nos frères et sœurs en les aimant comme Dieu les aime. Demandons sans cesse la grâce de Dieu pour accomplir cette aventure extraordinaire. Dieu fera de nos vies humaines la matière de sa divinité.
Frères et sœurs, allons jusqu’au bout de l’humain pour abolir la distance qui nous sépare de Dieu.