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Trois questions à… Dennis Gira

Rencontre avec un théologien connu pour son engagement dans le dialogue interreligieux.

Né en 1943 à Chicago, Dennis Gira est un théologien, chercheur et écrivain. Avant de s’installer en France, il a vécu huit ans au Japon. Il y a notamment étudié les écoles bouddhistes de la « Terre pure ». Docteur en études extrême-orientales, spécialiste du bouddhisme, Dennis Gira est connu pour son engagement dans le dialogue interreligieux. Ancien journaliste du groupe de presse Bayard, il enseigne désormais le bouddhisme dans les instituts catholiques de Lyon et de Paris ainsi qu’au Centre Sèvres.

Vous avez participé à une université d’été. Quel(s) souvenir(s) en gardez-vous ?

J’ai été présent pour l’université d’été consacrée à l’Asie il y a une dizaine d’années et j’en garde un excellent souvenir.

Tout d’abord, j’ai été impressionné par l’ambiance familiale qui a rendu le tout très agréable. C’était certainement le fruit de tout le travail des organisateurs. Connaissant certains d’entre eux, cela ne m’a point surpris ! Automatic word wrap
Bon nombre de participants se connaissaient mais les « anciens » étaient très attentifs à ceux qui participaient pour la première fois. Les participants écoutaient avec attention, preuve de leur sérieux et de la compétence des intervenants sur les grandes traditions spirituelles de l’Asie : l’hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme. Le fait d’être le « fil rouge » de l’université d’été cette année-là m’a obligé à une écoute constante car il me fallait faire des résumés de chaque conférence et montrer le lien que chacune avait avec ce qui avait été dit avant et avec ce qui allait venir. Assumer cette tâche redoutable m’impressionnait beaucoup, mais l’écoute du public et l’art pédagogique des intervenants l’a rendue assez simple finalement. En fait, c’est en écoutant tout le monde et en faisant ces résumés que j’ai compris une règle fondamentale. Au lieu d’interpréter les propos sur ces traditions à la lumière de notre expérience chrétienne, il fallait vraiment les laisser parler. Il ne sert à rien de chercher chez les autres ce qui est important pour nous car cette attitude nous empêche inévitablement de comprendre ce qui est important pour eux.

L’université d’été consacrée aux sagesses de l’Asie avait un autre atout : les ateliers. Ceux-ci donnaient à chacun la possibilité d’entrer dans le sujet par la médiation du corps (calligraphie, etc.). Le seul problème était de faire un choix, car on ne pouvait évidemment pas tout faire. Il y avait des choses pour les enfants aussi, ce qui ajoutait à l’esprit de famille. Et le lieu de l’université (Valpré) était idéal pour permettre toutes ces activités ainsi que de grandes manifestations en plein air.

Mon seul regret, c’est qu’il m’est très difficile d’y participer plus souvent. Américain de naissance, je profite du mois d’août pour retrouver ma famille aux Etats-Unis. Ce sera le cas cette année. Et pourtant le thème du dialogue m’est particulièrement cher !

Pourriez-vous nous dire pourquoi ce thème vous est si cher ?

C’est sans doute parce que durant presque toute ma vie, je me suis trouvé dans des situations où le dialogue était indispensable. A Chicago, j’ai travaillé avec des communautés hispaniques (il y en avait beaucoup, venues de Puerto Rico, du Mexique, de Cuba…). Et puis, je suis allé au Japon où j’ai passé huit ans à travailler tout en apprenant la langue et les grandes spiritualités du pays, et notamment le bouddhisme, pour mieux rencontrer le peuple japonais. Au dialogue interculturel que j’ai connu à Chicago s’est donc ajouté le dialogue interreligieux. Et c’est au Japon que j’ai rencontré ma femme, française, une rencontre qui m’invite tous les jours à m’engager dans un dialogue interpersonnel et interculturel très intense. Sans dialogue, ces situations n’auraient pas pu être les sources de croissance personnelles qu’elles ont été.

Ce qui me rend triste aujourd’hui, c’est que le dialogue semble bien laissé de côté. Certes, tout le monde participe à de multiples conversations tous les jours, mais une conversation n’est pas un dialogue ! On entre facilement dans une conversation, avec n’importe qui, sur n’importe quel sujet et n’importe où… et on en sort, inchangé, aussi facilement qu’on y était entré. Mais avant de s’engager dans un dialogue, il faut réfléchir, car cela demande un réel engagement. On ne peut donc pas simplement mettre fin à un dialogue de façon arbitraire. De plus, on ne sort pas d’un vrai dialogue sans en être changé. La différence se résume facilement : tout le monde sait ce qu’est une « conversation de salon »… mais un « dialogue de salon » est inconcevable. Ce qui fait qu’on ne parle pas d’un dialogue de salon fait la différence entre un dialogue et une conversation.

Le dialogue n’est pas un débat non plus, car dans le dialogue il n’y a ni gagnant ni perdant. On n’essaie pas de montrer la supériorité de sa propre position et l’infériorité de celle des autres. On s’efforce simplement à se mettre à l’écoute de l’autre pour comprendre ce qu’il vit, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ce qu’il croit (les quatre sont inséparables dans le vécu). En même temps, chacun cherche les moyens de dire ce qu’il vit, ce qu’il pense etc, en des termes qui seront audibles par son interlocuteur. Dans une telle dynamique, il ne peut y avoir que des gagnants car chacun y vit un véritable approfondissement de sa connaissance de l’autre et de sa connaissance de soi.

La conviction que l’autre a quelque chose d’important à nous dire est tout aussi fondamentale dans le dialogue. C’est donc plus difficile que la tolérance et finalement beaucoup plus respectueux de l’autre. Encore une fois, une simple phrase – ou plutôt deux (une avec le verbe tolérer et l’autre avec le verbe dialoguer) aideront à comprendre la différence entre la tolérance et le dialogue : « Je tolère X. » et « Je dialogue avec X. » Dans la première phase il n’y a qu’un seul acteur – « Je ». X est simplement là, et si j’en crois ce que me disent les amis qui savent d’expérience ce que c’est d’être tolérés, cela explique qu’ils soient beaucoup moins enthousiastes des vertus de la tolérance que les gens qui pensent qu’elle pourrait être la fondation solide d’un véritable vivre-ensemble. Dans la seconde phrase, il y a deux acteurs à égalité, chacun convaincu qu’il a besoin de l’autre et que cet autre a quelque chose d’essentiel à lui dire, y compris sur le sens de la vie. C’est ce respect mutuel qui est la véritable base d’un « vivre-ensemble ». Après tout, cette expression même suppose l’action de toutes les parties concernées, ce qui est inscrit dans la pratique du dialogue. D’ailleurs, quand quelqu’un n’est pas convaincu qu’il a besoin de l’autre, il va simplement le tolérer, ce qui ne facilite pas les relations entre les gens, même si, évidemment, la tolérance est préférable à l’intolérance.

Voilà donc quelques-unes des raisons pour lesquelles je suis très heureux du choix du thème de cette année.

D’après vous, quelles thématiques serait-il intéressant de retenir pour de prochaines universités ?

J’ai peu réfléchi aux thématiques pour les prochaines universités. Sans doute parce que je fais confiance aux organisateurs. Je sais qu’ils sont très attentifs à ce qui se passe dans le monde et aussi à ce qui passe dans l’Eglise. Ils voient bien à quel point la foi est indissociable des joies et des peines de tous, comme dit « La constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps ». Certes, il n’est pas facile de choisir parce que l’actualité change d’un jour à l’autre, mais il existe des questions qui sont toujours actuelles même si elles ne font pas partie de l’actualité : le dialogue, par exemple ! Autrement dit, l’actualité au moment où le choix du thème est fait ne sera certainement pas l’actualité la semaine où l’université d’été aura lieu. Finalement, ce choix, et toute la réflexion qui le précède, c’est quelque chose qui doit être fait en équipe. Cette équipe existe et ses membres, tous compétents, connaissent le public beaucoup mieux que moi et ils ont l’habitude de discerner ce qui, dans l’actualité, sera toujours une question actuelle.

Propos recueillis par A.T.

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