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Bruno Chenu, un assomptionniste « au service de la vérité »

Cette université d’été est marquée par un assomptionniste, décédé il y a 10 ans, qui a laissé une pensée riche en héritage. Un atelier fait un coup de projecteur sur Bruno Chenu en son hommage et son « regard qui dialogue ».

 

Le P. Claude Maréchal a vécu en communauté avec Bruno Chenu durant sept ans. Nicolas Tarrale, autre prêtre, est l’auteur d’un livre sur Bruno Chenu, Au service de la vérité – Dialogue, Conversion, Communion, paru cette année. Ensemble, les deux assomptionnistes ont proposé de découvrir la pensée de leur confrère. Voici le regard de Nicolas Tarrale.

En travaillant mon mémoire de DEA pendant l’année 2004-2005, je me suis plongé dans les livres de Bruno Chenu et ses travaux pour finalement présenter : « Bruno Chenu, tiers-théologien – au service de l’Église une et fraternelle ». C’est de ce travail qu’est né le livre Au service de la vérité : de nombreux documents sur lesquels j’étais tombé méritaient d’être partagés au grand public. Les 10 ans de sa mort – en avril de cette année – ont été l’occasion de les rassembler et de les publier.

En nous quittant brusquement et prématurément, Bruno Chenu a laissé une bibliothèque unique en France sur les théologies noires et abondamment fournie en théologies « des » tiers-mondes, ecclésiologie, missiologie œcuménisme. Mais il a aussi laissé plus de 1 600 dossiers thématiques représentant tous les champs cités ci-dessus et bien d’autres encore. On y trouve des articles de revue et des coupures de journaux, parfois annotés de sa main, ou complétés par des notes, ainsi que des conférences et des cours qu’il a donnés.

Bruno Chenu aujourd’hui

A l’automne 2003, une première journée a été organisée à Valpré (Lyon) en l’honneur de Bruno Chenu. De très nombreux amis étaient présents : théologiens, journalistes ou lecteurs, lyonnais, parisiens ou dauphinois, catholiques, protestants ou sans étiquettes, de la catho de Lyon, du groupe des Dombes, de la commission Justice et Paix de l’épiscopat français, de Bayard, de l’Assomption…

Ce fut une prise de conscience de la diversité et de l’enracinement de ses préoccupations en même temps qu’un hommage à son sens du discernement. Depuis lors, chaque année, une journée explore un aspect particulier de sa pensée. Un colloque a même eu lieu sur deux jours, traitant du prophétisme.

Les 10 ans du décès de Bruno Chenu ne sont pas l’occasion de retourner en arrière, mais de regarder en avant : c’est ce qu’il a toujours fait, avec un extraordinaire sens du discernement. Il n’est pas utile de répéter ce qu’il a dit, mais de le lire pour s’inspirer de son regard en vue d’observer l’Église et le monde d’aujourd’hui. Tout est prêt pour qu’il puisse maintenant accompagner, avec des outils nouveaux comme internet, un regard sur l’Église et le monde qui soit dialogué, discerné, partagé.

Pendant 10 ans, les conférences des journées Bruno Chenu ont montré tout l’intérêt que son travail réveille, maintenant il faut passer au Bruno Chenu numérique : mettre en œuvre la pratique du dialogue qui a été la sienne. Le site brunochenu.org est un pas en ce sens. Puisse-t-il devenir un laboratoire de catholicité, éclairé par la pratique de Bruno Chenu, prolongeant la justesse de son regard et de sa parole sur l’Eglise.

De quoi parle le livre ? De l’Église : il nous aide à l’aimer !

Bruno Chenu n’a jamais eu d’autre désir que d’aimer et de faire aimer l’Église. Le clin d’œil de la photo qu’on trouve sur le bandeau du livre, c’est le hors champ : Bruno Chenu, qui n’a que rarement porté le col romain, est en train de regarder le pape Jean-Paul II…

Les textes qui sont repris ici ont une cohérence ecclésiologique qui n’est pas présentée de manière systématique, comme dans un traité, mais par touches, comme un tableau impressionniste. Le premier date de 1977, le dernier de 2002 : ils couvrent les quarante premières années de la réception de Vatican II. Il s’agit de conférences données à des auditoires divers (responsables pastoraux, journalistes, paroissiens, religieux…), d’interviews où il parle et d’autres où il interroge, d’articles de revues théologiques ou de presse à large diffusion. Un point commun : la clarté de ce qu’il exprime.

Pour comprendre le livre, il peut être utile de retenir le plan. Nous avons commencé par présenter les textes d’un Bruno Chenu qui est « observateur-participant » de la vie de l’Église. Même avant d’être journaliste, il observait les évolutions de l’Église : trois contributions nous donnent une perspective au tournant des années 70-80.

Mais il a surtout été rédacteur en chef religieux de La Croix de 88 à 97, et à ce titre entrainé dans un travail d’analyse au quotidien des événements ecclésiaux. Il a eu l’occasion de revenir sur cette expérience dans plusieurs textes, approfondissant le sens de la communication et du dialogue publics dans l’Église. C’est la grande originalité de sa posture d’observateur de l’Église : depuis le poste d’observation d’un quotidien national.

Être « participant du mystère dont on parle »

Cette première partie est une manière de souligner l’enjeu « anthropologique » que Bruno Chenu a relevé : apporter de la distance en restant impliqué. C’est à partir de la vie des églises, de la vitalité des communautés ecclésiales que Bruno Chenu appréhende l’Église. Il vibre au souffle qui anime celles qu’il observe. Il fait de son analyse, de son regard, une participation à cette vitalité, à ce souffle. Il ne parle jamais « hors-sol », il s’inclue toujours comme participant du mystère dont il parle.

En cela, même s’il a utilisé des analyses sociologiques, je croie qu’on peut dire qu’il a pratiqué la « méthode » anthropologique : à partir du terrain, se savoir impliqué, et porter un regard sur l’Église dans sa catholicité qui accueille la diversité des expériences ecclésiales. C’est cette manière de faire qui est le plus précieux.

Cependant, il importe aussi de retenir ce qu’il a dit de l’Église. Il en a été un grand pédagogue. C’est le sens de la deuxième partie. Plusieurs textes de 77 et 83 sont des mini-synthèses ecclésiologiques. L’Eglise est ouverte, en dialogue, vraiment de Dieu et des hommes. On retrouve des accents de son livre L’Eglise au cœur qui date de cette période. Dans cette tension, Bruno Chenu scrute la manière dont l’Eglise se tourne vers les autres religions, dont elle se comprend elle-même comme mystère en mouvement, en conversion.

La force « d’un regard qui dialogue »

Ce thème de la conversion devient central chez Bruno à partir de 87. Non pas qu’il fut absent avant, mais parce qu’un événement œcuménique a provoqué sa maturation. Les textes plus théologiques et œcuméniques de cette seconde partie doivent beaucoup à l’implication de Bruno Chenu dans le groupe des Dombes. L’Eglise est alors toujours cette communauté invitée à vivre concrètement la fraternité prophétique que l’Esprit suscite en elle. Bruno sait trouver des mots simples pour exprimer cette vérité toute simple.

La troisième partie vient reprendre le mouvement de la pensée de Bruno Chenu avec trois mots et quatre textes. Le premier texte est une interview dans laquelle il développe sa préoccupation vive du prophétisme. Il faudra sans doute un jour écrire la métamorphose de la théologie politique chez Bruno, qui vient de l’attention au rapport Eglise-Royaume et qui devient une méditation sur le prophétisme de l’Église… On aurait pu mettre ce mot de prophétisme comme marqueur de l’Église en dialogue, en conversion et en communion, mais le mouvement est plus important que le nom qu’on lui donne. Plus important encore est de le vivre sur un autre mode que personnel.

C’est un point d’attention de Bruno : le prophétisme est aussi collectif ! Ce prophétisme, en tant qu’institution, l’Église est appelée à le vivre dans le dialogue (l’expérience journalistique de Bruno en est une illustration), dans la conversion et dans la communion.

L’ouverture de Bruno Chenu aux théologies des tiers mondes nous donne à voir la force d’un regard qui dialogue. Les textes choisis pour le livre portent sur l’expérience ecclésiale française et sur des textes plus généraux sur l’Église : délibérément, certains inédits portant sur d’autres continents et d’autres théologies ont été laissés de coté. La conférence qui est alors présentée dans cette troisième partie est l’ouverture très concrète de notre regard sur ces autres réalités de la vie de l’Église. Un voyage à travers le monde pour comprendre que l’expérience ecclésiale est véritablement plurielle : elle exige le dialogue des cultures.

Le dialogue amène alors à la conversion. Un texte-événement de 1987 vient poser les bases de cette attention que Bruno Chenu a été le porte parole. Son intervention au groupe de Dombes nous met en face d’une intuition centrale dans l’histoire de l’œcuménisme : la conversion n’est pas inversement proportionnelle à la requête d’identité, mais directement proportionnel. Le groupe des Dombes venait de publier un livre qui appelait les Église à la conversion et Bernard Sesbouë témoigne que des responsables d’Églises leurs reprochaient d’appeler à une dénaturation des identités ecclésiales.

Bruno a présenté son texte au groupe en réponse à cette interpellation : on y trouve le fondement du texte suivant des Dombes pour la conversion des Églises. Ce texte nous invite à creuser cette vérité fondamentale que notre identité, en tant que chrétien, c’est la conversion. L’avenir de l’Église est dans l’appropriation des harmoniques de cette mission.

Cette troisième partie revient alors sur un article déjà publié dans la revue Concilium, en forme de méditation spirituelle et théologique qui invite à la communion des différences. La figure de Christian de Chergé y est présente pour nous guider à travers une spiritualité de communion qui se sait en chemin de conversion et qui a soif de dialogue.

Nicolas Tarrale

A LIRE : Conférence de Bruno Chenu sur le dialogue

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