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Les chrétiens du Proche-Orient

Nicolas Senèze : la mosaïque des chrétiens du Proche-Orient

Pour commencer, il faut rappeler que les chrétiens du Proche-Orient ne constituent qu’une toute petite population 12 à 13 millions (dont 2 millions de catholiques)…
Mais il s’agit d’une population extrêmement diverse : on trouve au Proche-Orient toutes les traditions chrétiennes, soit une douzaine d’Églises différentes.
Nous allons essayer de voir :

  • Qui sont-ils et d’où viennent-ils ?
  • Que vivent-ils ?

I – Qui sont les chrétiens d’Orient ?

Un rappel pour commencer : le christianisme est né et a grandi en Méditerranée. Son berceau est la Terre d’Israël ; il s’est ensuite répandu à travers tout le bassin méditerranéen (rappelez-vous les voyages de Paul) ; puis il s’est structuré autour de la Méditerranée : c’est autour d’elle que l’on retrouve les patriarcats autour desquels s’est organisé le christianisme. C’est aussi au bord de la Méditerranée que se sont réunis les conciles au cours desquels s’est peu à peu définie la foi chrétienne.

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Pourquoi mentionner ces conciles et remonter si loin dans l’histoire ? Parce que c’est des grandes querelles théologiques des premiers siècles que vont naître les différentes Églises chrétiennes que l’on trouve aujourd’hui au Proche-Orient.
À cette époque, la question principale est « Qui est Jésus ? ». Pour les Apôtres, en effet, la question ne se posait pas : ils avaient connu Jésus, l’avaient touché, l’avaient vu mort et ressuscité. Aucun problème pour eux qu’il soit Fils de Dieu, qu’il soit à la fois homme et Dieu…
Au cours des siècles suivant, les choses vont se compliquer, au fil de l’approfondissement théologique. Au fur et à mesure, aussi, que le christianisme va rencontrer d’autres cultures et d’autres modes de pensée pour lesquels l’Incarnation est une notion qui ne va pas de soi.

Les Églises pré-chalcédoniennes

La première grosse controverse va naître aux tournants des IIIme siècle/début IVme siècle, avec un certain Arius (256-336). Ce prêtre d’Alexandrie va être à l’origine d’une doctrine, l’arianisme, qui affirme que le Fils est une créature du Père, adopté par Dieu à cause de sa perfection morale et spirituelle.
Cette affirmation pose problème car, alors, l’Incarnation n’a aucun sens et la mort et la résurrection du Christ ne seraient que des mascarades…
La question est réglée en 325 par le concile de Nicée qui proclame que le Fils « engendré, non pas créé » est « de même nature que le Père » : c’est ce Credo adopté à Nicée, et complété quelques années plus tard à Constantinople, que nous récitons toujours chaque dimanche…

Mais loin de régler le problème, le concile de Nicée ne fait que le déplacer… Que signifie au fond que le Christ est « de même nature que le Père » ?
Au début du Ve siècle, l’évêque Nestorius de Constantinople (v. 382-451) estime impossible d’adorer Dieu en la personne d’un petit enfant, qui plus est né d’une femme !
Il distingue donc en la personne du Christ deux natures : humaine et divine. Et pour lui, Marie ne doit pas être qualifiée de Mère de Dieu (Theotokos), mais seulement de Mère du Christ (Christotokos) car, selon lui, Marie n’étant que la mère de la nature humaine.
Cette affirmation provoque l’pposition de nombreux chrétiens notamment en Egypte où Marie a déjà une grande place.
En 431, le concile d’Éphèse condamne le nestorianisme et proclame Marie Mère de Dieu : « Si quelqu’un ne confesse pas que l’Emmanuel est Dieu en vérité et que pour cette raison la Sainte Vierge est Mère de Dieu (car elle a engendré charnellement le Verbe de Dieu fait chair), qu’il soit anathème ». Mais l’Église de Perse (qui rassemble les chrétiens vivant en Mésopotamie) rejette ces conclusions et se sépare de Byzance.
C’est l’origine de l’Église assyrienne d’Orient, dont le siège va se fixer à Séleucie-Ctésiphon (une des grandes villes des Perses, près de l’actuelle Bagdad). Une Église très importante, qui a évangélisé jusqu’en Chine et dont le patriarcat, à partir du XVme siècle, va devenir héréditaire d’oncle à neveu.
Depuis 1969, elle est divisée en deux juridictions : le patriarcat de Séleucie-Césiphon, installé à Chicago depuis les années 1940 (actuellement Mar Dinkha IV), et l’Ancienne Église assyrienne d’Orient, à Bagdad (actuellement Mar Addai II). Ces deux branches rassemblent 100 000 à 200 000 fidèles principalement en diaspora : c’est devenu quasiment une Église américaine. Ceux qui restent en Irak sont dans une situation précaire depuis les deux guerres du Golfe.
À noter que le patriarcat de Séleucie-Ctésiphon a signé, en 1994, une déclaration christologique commune avec l’Église catholique et que les deux Églises pratiquent l’intercommunion.
Après Éphèse, la controverse n’est toujours pas terminée : à force d’insister sur la nature divine du Christ, certains vont finir par en oublier sa nature humaine… C’est l’origine du monophysisme (de monos, « unique », et physis, « nature ») développée par Eutychès (v. 378-454), un moine à Constantinople, qui affirme que la nature divine du Christ a absorbé sa nature humaine.
En 451, le monophysisme est ondamné au concile de Chalcédoine qui confesse « un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation, la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et de l’autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne ».
Plusieurs Églises vont refuser cette définition :
D’abord l’Église d’Égypte, qui va être à l’origine de l’Église copte-orthodoxeregroupée autour du patriarche d’Alexandrie (aujourd’hui le pape Chenouda III, au Caire). Elle rassemble 8 à 10 millions de fidèles (surtout en Egypte où ils représentent 10% de la population), soit la plus grosse partie des chrétiens du Proche-Orient.
Les coptes doivent faire face à une situation difficile, notament pour les communautés rurales de Haute et de Moyene-Egypte (rappelon-nous de l’attentat qui a tué six coptes lors des fêtes de Noeêl, en janvier dernier à Nag Hammadi).
L’Église de Syrie va elle-aussi refuser les définitions du concile de Chalcédoine. Elle sera à l’origine de l’Église syrienne-orthodoxe (dite aussi jacobite du nom d’un de ses fondateurs Jacques Barradai) réunie autour du patriarche d’Antioche (aujourd’hui Ignace Zakka Ier, qui siège à Damas)
Elle rassemble 250 000 fidèles, dont 150 000 au Proche-Orient ; Autrefois au Tur Abdin, au sud de la Turquie, ils ont fuit en Syrie du Nord : où ils sont aujourd’hui 80 000. Ils sont aussi présents en Irak. En diaspora, on en recense 100 000 en Amérique du Nord.
Quelques années plus tard, l’Église d’Arménie, qui ne participait pas au concile de Chalcédoine, estime que celui-ci a fait la part trop belle aux monophysites. En 506, au synode de Dvin, elle se sépare à son tour de Byzance.
C’est la naissance de l’Église arménienne apostolique (ou grégorienne, du nom de Grégoire l’Illuminateur évangélisateur de l’Arménie à la fin du IIIme siècle).
Elle rassemble 6 millions de fidèles, surtout sous la juridiction du catholicos Karekine II (à Etchmiadzine, près d’Erevan, en Arménie) mais compte aussi une gosse communauté aussi au Proche-Orient : après le génocide de 1915, de nombreux Arméniens ont fui la Turquie et essaimé dans toute la région. AU nombre de 600 000 (surtout au Liban et en Iran, ils sont principalement rassemblés sous la juridiction du catholicos de Cilicie, qui siège au Liban.
On compte également un patriarcat à Istanbul (60 000 fidèles) et un utre à Jérusalem (quelques milliers).
L’ensemble de ces Églises sont dites « pré-chalcédoniennes » (c’est-à-dire formées avant le concile de Chalcédoine). Toutes se proclament aussi « orthodoxes » (aucune Église ne s’affirme hétérodoxe !), mais il faut différencier avec ce que nous nommons habituellement « orthodoxie ».

Il faut également faire attention à ne pas surévaluer l’importance de ces querelles théologiques (qui ont d’ailleurs souvent trouvé, au XXme siècle, des solutions, les Églises séparées signant des déclarations de foi commune, notamment avec l’Église catholique).
Ces différents théologiques trouvent souvent leur origine dans les divisions politiques, mais aussi ethniques, linguistiques, intellectuelles et culturelles.

  • Ainsi le schisme nestorien est-il d’abord me divorce entre le monde sémitique et le monde gréco-romain, alors que, face au pouvoir perse, l’Église de Mésopotamie doit se différencier de Rome…
  • De la même manière le schisme monophysite manifeste-t-il la volonté d’autonomie des peuples d’Egypte et de Syrie qui vivent de plus en plus mal la domination byzantine et son oppression fiscale.
  • Enfin, le schisme entre catholiques et orthodoxes est-il surtout la rupture entre le monde grec réuni autour de Byzance et le monde latin désormais dominé par les Barbares.

Les Églises orthodoxes

Théologiquement, la controverse entre catholiques et orthodoxes trouve son origine dans la querelle du Filioque.
De quoi s’agit-il ? En 325 et 380, les conciles de Nicée et de Constantinople avaient défini que « l’Esprit saint procède du Père ». Mais en 589, le concile local de Tolède va ajouter que « l’Esprit saint procède du Père et du Fils » (en latin Filioque). Cet ajout se diffuse peu à peu en Occident au IXme siècle et les Carolingiens (qui disputent à Byzance l’héritage de l’Empire romain) vont s’en saisir pour mettre en doute l’orthodoxie doctrinale de Constantinople. La querelle s’envenime au point que, en 867, le patriarche Photius de Constantinople dénonce cet ajouT comme « blasphématoire ». Finalement, en 1054, le cardinal Humbert, légat du pape Léon IX à Constantinople, excommunie le patriarche Michel Ier Cérulaire.
La séparation entre orthodoxes et catholiques sera définitivement consommée en 1204 avec le sac de Constantinople par les Croisés.
Aujourd’hui l’Église orthodoxe est une communion de 14 Églises autocéphales (c’est-à-dire indépendantes, le patriarche œcuménique de Constantinople ne jouissant que d’une primauté honorifique mais non de juridiction.
Au Proche-Orient, l’orthodoxie est représentée par :

  • le patriarcat œcuménique de Constantinople (Bartholomeos Ier) qui dirige 3 500 000 fidèles dans le monde, mais à peu près 5000 fidèles en Turquie.
  • le patriarcat d’Alexandrie (Theodoros III) avec 1 million de fidèles, dont 300 000 en Égypte et déploie un gros effort d’évangélisation en Afrique.
  • le patriarcat d’Antioche (Ignace IV) qui, avec 1 million de fidèles, est la plus importante Église orthodoxe du Proche-Orient. Sur ce million, 600 000 demeurent toujours au Proche-Orient (notamment en Syrie), les autres vivant en diaspora (Brésil et Argentine, Amérique du Nord, France).
  • le patriarcat de Jérusalem (Theophilos III) rassemble 150 000 fidèles arabes en Israël, Palestine et Jordanie. Il connaît une mutation avec l’arrivée de Russes immigrés en Israël (300 000 à 400 000) mais qui, d’ascendance en partie juive, ne se reconnaissent que difficilement dans une Église arabe.
  • l’Église de Chypre (archevêque Chrysostomos). 500 000 fidèles. Toutes communient dans la même foi et partagent le même rite byzantin.

Les Églises catholiques

À partir du XIIIme siècle, des tentatives ont lieu pour réunir Églises d’Orient et d’Occident.

  • En 1274, le IIme concile de Lyon tente une union entre Rome et Byzance, mais c’est un échec.
  • En 1439, le concile de Ferrare-Florence adopte un accord entre Latins et Byzantins mais qui est finalement rejeté par ces derniers qui dénoncent un chantage à l’aide militaire au moment où Constantinople est menacée par les Turcs. Il faut dire qu’à l’époque, on ne concevait l’œcuménisme que comme un retour pur et simple à la latinité et c’est sur cette base que vont se faire les unions successives de part plus ou moins importante d’Églises orientales avec Rome…

Ainsi, en 1552, Refusant l’hérédité du patriarcat, des évêques assyriens élisent un patriarche qui se rattache à Rome. C’est la naissance de l’Église chaldéenne.
Le Patriarcat de Babylone, à Bagdad (Cardinal Emmanuel III Delly), rassemble 1 million de fidèles dont une petite moitié en Irak.
Ceux-ci doivent faire face à la situation très difficile des chrétiens dans ce pays ; d’où une très forte émigration depuis les deux guerres d’Irak.
En 1724, le patriarche orthodoxe Cyrille VI d’Antioche se rallie à Rome formant ainsil’Église grecque-catholique (dite aussi melkite).
Aujourd’hui dirigée par le patriarche Grégoire III Laham (à Damas), elle rassemble 1 million de fidèles dont environ 500 000 au Proche-Orient (1/2 au Liban, 1/3 en Syrie, 1/4 en Israël et en Palestine).
Le reste vit en diaspora en Amérique du Nord, au Brésil et en Argentine…
En 1740, un synode d’arméniens unis à Rome sous l’influence de missionnaires latins élit un patriarche arménien-catholique : c’est la naissance de l’Église arménienne-catholique.
Elle est aujourd’hui dirigée par le patriarche Nerses Pierre XIX Tarmouni (au Liban)
Elle rassemble 300 000 fidèles, dont 100 000 au Caucase, 60 000 au Proche-Orient, et le reste en diaspora (30 000 en France).
En 1656, Rome nomme le premier évêque syrien-catholique mais il faut attendre 1783 pour que soit élu un patriarche syrien-catholique et que l’Église syrienne-catholiqueprenne son autonomie.
Elle est aujourd’hui dirigée par le patriarche Ignace Joseph III Younan (à Beyrouth) et rassemble 100 000 fidèles, surtout en Syrie et en Irak
C’est la plus petite Église du Proche-Orient.
En 1741, naît une Église copte-catholique mais il faut attendre 1899 pour la nomination d’un premier patriarche
Il s’agit aujourd’hui du patriarche Antonios Naguib (au Caire) qui dirige cette Église
Elle rassemble 250 000 fidèles (dont 100 000 en Égypte).
Parmi les catholiques d’Orient, il faut aussi citer :

L’Église maronite, née au IVme/Vme siècle avec saint Maron qui fonde une communauté dans la vallée de l’Oronte, en Syrie (sud de la Turquie actuelle). Très autonome, elle refuse d’entrer dans le schisme monophysite et finit par élire, au VIIIme siècle, son propre patriarche d’Antioche. Les maronites se réfugient ensuite dans la montagne libanaise. Avec les Croisades, ils s’ouvrent à l’influence occidentale et rejoignent officiellement l’obédience romaine.
Le patriarche actuel est le cardinal Nasrallah Pierre Sfeir (à Bkerké, près de Beyrouth).
On compte 3 500 000 maronites, dont 800 000 au Liban.
Enfin, il ne faut pas oublier l’Église latine. Arrivés avec les Croisés (XIme siècle), ils parviennent à se maintenir après les chutes de Jérusalem puis de Saint-Jean-d’Acre, grâce aux franciscains qui obtiennent la garde des Lieux saints).
Le Patriarcat latin de Jéusalem est rétabli en 1847 (actuellement Mgr Fouad Twal) mais sa juridiction s’étend seulement sur Israël, la Palestine, la Jordanie et Chypre. Il y a aussi d’autres diocèses latins à travers tout le Proche-Orient, qui dépendent directement de Rome.
On compte 75 000 fidèles Arabes (surtout en Israël et en Palestine) et de petites communautés en Syrie, au Liban, en Turquie et en Irak. Mais il faut noter l’arrivée d’une forte immigration dans la Péninsule arabique avec des travailleurs venus des Philippines ou du Sri Lanka (on parle de 2 millions de chrétiens qui vivent dans une situation économique et religieuse précaire).
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La plupart de ces Églises ont conservé leurs rites (issus principalement des traditions d’Antioche et de Jérusalem) et traditions d’origine (notamment rôle de la synodalité), et bénéficient d’une certaine autonomie par rapport à Rome.
Mais ce phénomène « uniate » demeure une blessure pour les Églises dont elles sont issues qui ont vécu ces unions comme autant de tentatives d’exploiter leur difficultés.
En 1993, à Balamand (Liban), catholiques et orthodoxes sont convenus que « cette forme d’apostolat missionnaire (…) qui a été appelée uniatisme, ne peut plus être acceptée ni en tant que méthode à suivre, ni en tant que modèle de l’unité recherchée par nos Églises ».

II – Que vivent les chrétiens du Proche-Orient ?

Après ce tableau des différentes communautés chrétiennes du Proche-Orient, il est temps de voir, dans une seconde partie, ce qu’ils vivent aujourd’hui.
Pour cela, je vais largement puiser dans le Document de travail du Synode des évêques pour le Proche-Orient qui doit se réunir début octobre à Rome.

Une communauté minoritaire

Le premier constat qu’il convient de faire est de relever que les chrétiens sont extrêmement minoritaires au Proche-Orient (12 à 13 millions pour 360 millions d’habitants).

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Mais cela a toujours été le cas : mise à part une brève période (IVme/milieu VIIme siècles) les chrétiens n’ont jamais été en position dominante au Proche-Orient…
Au fil des siècles, la proportion des chrétiens dans la population va fondre :

  • En Égypte, on passe ainsi de 100% de la population en 650, à 20% en 850, et 10% au XIVme siècle.
  • En Turquie, si l’islam est encore minoritaire aux XIIIme/XIVme, on ne compte déjà plus que 8% de chrétiens au XVIme suite à une forte politique de colonisation turque.

Ce fait minoritaire pèse aussi sur la mentalité des chrétiens d’Orient, les poussant au repli communautaire et au confessionnalisme

Le poids de l’islam et la dhimmitude

Cette position minoritaire se fait aujourd’hui face à l’islam, arrivé très tôt et très rapidement : Mohammed meurt en 632, la Syrie est conquise en 636, l’Égypte en 711. Quant à la Turquie, sa conquête, commencée en 1060, s’achève en 1360.
Les populations chrétiennes du Porche-Orient opposent peu de résistance à l’invasion musulmane. D’abord, parce qu’une large part est elle-même d’origine sémite. Ensuite parce que, monophysite, elle vit très mal l’oppression fiscale et religieuse de la Byzance orthodoxe. Les Arabes sont donc perçus en libérateurs.
De plus, sous les premiers califes, la domination religieuse musulmane est assez légère. Mais, petit à petit, va se mettre en place un statut spécial de « protection » des fidèles des religions non musulmanes (juifs et chrétiens) : dhimmitude (dhimmi : protégé en arabe). En contrepartie de la sécurité des personnes et des biens, de la liberté de culte et d’une certaine auto-administration, ils doivent se plier à certaines obligations : restrictions à l’exercice public du culte, incapacité juridique (impossibilité de témoigner devant un tribunal islamique), interdiction d’exercer des charges publiques, impôts spéciaux, port de vêtements distinctifs.
Règulièrement, les califes vont rappeler ces règles, signe que leur application est souvent lache. Mais ce système de dhimmitude a largement pesé sur la situation et l’état d’esprit non seulement des musulmans mais aussi des chrétiens.

L’absence de laïcité

[#] Une des conséquence de cet état d’esprit est l’absence de laïcité dans la plupart des États du Proche-Orient. C’est ce que rappelle le Document de travail du Synode (§109 et 110) :
Il n’y a pas de laïcité dans les états à majorité musulmane, à l’exception de la Turquie : l’Islam est en général la religion d’État, la source principale de la législation, s’inspirant de la sharia. Quant aux prérogatives de la personne (famille et héritage dans certains pays), il existe des statuts particuliers pour les communautés chrétiennes, dont les tribunaux ecclésiastiques sont reconnus et voient leurs décisions appliquées. Toutes les Constitutions affirment l’égalité des citoyens devant l’État. L’éducation religieuse est obligatoire dans les écoles privées et publiques, mais elle n’est pas toujours garantie aux chrétiens.
Dans certains pays, l’État est islamique et la sharia est appliquée non seulement dans la vie privée, mais aussi dans la vie sociale, pour les non-musulmans également, ce qui entraîne la méconnaissance des droits humains. Quant à la liberté religieuse et à la liberté de conscience, elles sont généralement inconnues dans le milieu musulman, qui reconnaît la liberté de culte mais non la liberté de proclamer une religion autre que l’Islam, et encore moins d’abandonner celui-ci.
C’est pourquoi l’Église catholique milite activement pour « laïcité positive » de l’État visant clairement à « alléger le caractère théocratique du gouvernement » et permettant « une plus grande égalité entre les citoyens de religions différentes, en facilitant ainsi la promotion d’une démocratie saine, positivement laïque, qui reconnaisse pleinement le rôle de la religion, dans la vie publique également, dans le respect total de la distinction entre les ordres religieux et temporel » (§25).

Le Document de travail du Synode rappelle aussi que « les chrétiens sont des “citoyens indigènes” et que donc ils appartiennent de plein droit au tissu social et à l’identité même de leurs pays respectifs » (§24).
Il faut en effet rappeler que les chrétiens participent activement à la société proche-orientale grâce à des réseaux éducatif et sanitaires de haut niveau, qui débordent largement le seul public chrétien.

Les conflits politiques

Les chrétiens du PO sont plongés dans la situation politique de cette région et subissent de plein fouet les conflits qu’elle traverse : conflit israélo-palestinien, guerre d’Irak, tensions du Liban, instabilité en Égypte, régimes autoritaires un peu partout…
Dans ces différents conflits, la situation des chrétiens est délicate car ils sont souvent désignés comme des alliés objectifs d’un Occident toujours perçu comme chrétien :

Le fait que le monde musulman ne fait pas facilement la distinction entre l’aspect politique et l’aspect religieux lèse grandement les Églises de la région du Proche-Orient : en effet, au plan concret, l’opinion publique musulmane attribue à l’Église pratiquement tous les choix des États occidentaux. (§101)

Face à l’Occident, le Proche-Orient s’était d’abord tourné vers le nationalisme arabe, où les chrétiens ont eu une large part. Ils ont été moteurs.

A partir des années 1970, c’est dans l’islam politique que le monde arabo-musulman a cherché sa voie pour répondre à l’Occident :

Cet islam politique comprend différents courants religieux qui voudraient imposer un mode de vie islamique aux sociétés arabe, turque ou iranienne et à tous ceux qui y vivent, musulmans et non musulmans. Pour ces courants, la cause de tous les maux est l’éloignement de l’islam. La solution est donc le retour à l’islam des origines. (§41)

Difficile, dans ces conditions, pour les chrétiens de trouver une place !

L’ émigration

Entre les tensions politiques, une situation économique difficile et un statut communautaire minoritaire, beaucoup de chrétiens sont tentés soit par le repli communautaire soit par l’émigration.

Il serait exagéré de parler d’un « exode » des chrétiens d’Orient : les musulmans (qui eux aussi sont victimes de la situation économique comme de la violence islamiste) sont tout autant tentés par l’émigration que les chrétiens.
Mais quand 50 musulmans quittent un village, il reste des musulmans dans le village, quand 50 chrétiens quittent le village, c’est toute la communauté chrétienne qui s’en va !
Aujourd’hui 44% des chrétiens d’Orient vivent en diaspora (65% si on exclut les coptes !)…

Cette émigration fait craindre pour l’avenir même des chrétiens d’Orient. Cette « disparition constituerait une perte pour ce pluralisme qui a caractérisé depuis toujours les pays du Proche-Orient. Sans la voix chrétienne, les sociétés proche-orientales seraient appauvries », souligne le Document de travail (§24), rejoignant en cela la position de la diplomatie française…

Conclusion : le Synode du Proche-Orient

C’est l’ensemble de ce problèmes qui vont être traités du 10 au 24 octobre prochains à Rome pendant l’assemblée spéciale du Synode des évêques sur le Proche-Orient, réuni par Benoît XVI à la demande des évêques orientaux eux-mêmes.

En filigrane, la question sera aussi le rapport à l’islam : comment dialoguer avec lui. Plus largement, il s’agira d’interroger le monde arabo-musulman sur son rapport à la modernité : celle-ci doit elle se vivre forcément en rapport avec l’Occident (soit en le copiant, soit en le rejetant) ou le Prche-orient doit-il trouver son mode spécifique de vivre la modernité (les chrétiens pouvant apporter leur pierre à l’édifice).

François Zabbal : La question chrétienne dans le monde arabe

PDF: La question chrétienne dans le monde arabe

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