Le P. Thierry Magnin, physicien et vicaire général du diocèse de Saint-Etienne, Jean-François Colosimo, théologien orthodoxe et directeur des éditions du CNRS, et Mgr Francis Deniau, évêque de Nevers, échangent sur la manière de trouver une cohérence entre science et foi sur les enjeux de société.
P. Thierry Magnin : « Le sens de la vie humaine et de sa dignité »
Pour tenter de répondre à la question posée de la cohérence entre science, société et foi, je partirai d’exemples concrets vécus, correspondant à des demandes de la société civile elle-même en la matière. Autant de lieux de dialogue possible et de recherche de cohérence.
Dans le domaine de la bioéthique au CHU de Saint-Etienne
Le CHU de Saint-Etienne demande une formation dans le cadre des soins palliatifs sur « la dimension spirituelle de l’être humain, articulations avec les dimensions psychologique et corporelle. Qu’est-ce que cela change de prendre en compte ces trois dimensions vis-à-vis des questions d’accompagnement de fin de vie, de l’acharnement thérapeutique et de l’euthanasie ». Partant des besoins spirituels de la personne en fin de vie (aujourd’hui pris en compte dans le cadre de la formation professionnelle), nous approfondissons ce qu’on entend par « dimension spirituelle » et situons la dimension religieuse et les besoins religieux. La question de la conscience est évidemment abordée et le point de départ de la dimension spirituelle est la proposition de définition donnée par André Comte-Sponville : « Le spirituel est ce qui fait appel à l’intériorité de l’homme, lui fait refuser l’inhumain, l’invite à s’accomplir dans une recherche de transcendance et à donner sens à son action, le met à l’écoute des autres et le porte à donner, échanger, recevoir ».
Ce type d’intervention est évidemment source de bien des questions, débats et recherche de cohérence entre sciences et techniques médicales d’une part, convictions et sens de l’humain d’autre part (terrain du spirituel plus que de la foi proprement dite). Il n’est pas sans intérêt de noter qu’on fait appel à des hommes et des femmes situés en Eglise pour ce type de formation en plein cœur d’un CHU, lieu marqué par la laïcité. « Ethique et spiritualité » devient aujourd’hui un thème abordé par des professionnels de la santé publique.
Dans le domaine de la formation en éthique des technosciences (ingénieurs et managers)
De plus en plus d’écoles d’ingénieurs et de cercles d’industriels et de managers sont demandeurs d’une initiation aux questions d’éthique des technosciences. Des questions nouvelles de liberté sont posées par les développements de la microélectronique, de l’informatique et d’Internet. Le développement des nanotechnologies, après les biotechnologies, est l’objet de bien des questions éthiques concernant la santé et la liberté des individus, à travers leurs applications en cours ou envisagées au niveau de nanopuces, nanomédicaments et nanorobots moléculaires notamment. La convergence NBIC (nano-bio-info-sciences cognitives) questionne l’humain, comme cela est abordé dans la présente université. Comment trouver du sens et de la justesse au milieu de tout cela, comment poser clairement les problèmes éthiques, donner des outils pour un jugement éthique équilibré, sur quoi fonder nos jugements éthiques, telles sont les demandes qui apparaissent. Pour y répondre, il y a nécessité d’une double formation scientifique/technique d’une part, philosophique et anthropologique d’autre part. Les chrétiens sont souvent bien placés pour apporter leur contribution au niveau du sens de l’homme selon l’Evangile.
Dans un certain nombre de clubs d’entrepreneurs (Association pour le Progrès du Management), il n’est pas rare d’être sollicité comme chrétien et scientifique pour parler « en liberté » de ces questions éthiques, des aspects éthiques du développement durable, du principe de responsabilité de Hans Jonas et des questions de sens que les découvertes scientifiques en physique et en biologie posent aujourd’hui. Remarquons au passage que c’est à titre individuel que ces sollicitations sont faites à des chrétiens et pas au nom de leur éventuelle appartenance à une Eglise.
Dans les classes de terminales sur la question du sens de la vie et de l’aventure humaine au regard des sciences.
Il m’arrive souvent (au moins 30 fois par an) d’être sollicité, comme prêtre et physicien, par des classes de terminales pour des interventions sur « sciences et Bible devant la création », ou « peut-on encore croire en Dieu après Galilée, Darwin et Freud », aussi bien en école catholique qu’en école publique dans le cadre du cours de philosophie par exemple.
Ce qui me frappe c’est qu’à partir du moment où on a fait sauter quelque clichés sur la foi et les modes de représentation de Dieu, un vrai débat sur la question du sens s’engage à travers les questions que soulèvent : la physique quantique qui s’intéressent à l’infiniment petit, et remet en cause l’idée de certitude scientifique ; la physique générale, la chimie et la biologie confrontées à la complexité du réel dans son évolution (questions sur le hasard, le déterminé et l’indéterminé, l’imprévisibilité et l’incomplétude…), l’astrophysique avec le principe anthropique et la question de la place de l’homme dans l’aventure de l’univers, la recherche sur l’unification des lois fondamentales de la physique et la question de l’origine de l’univers…et, dans chaque cas, la spécificité de l’homme, sa place, sa responsabilité, sa liberté devant les possibilités des neurosciences et de la génétique notamment…et parfois l’importance des convictions religieuses dans cette recherche de liberté personnelle et d’éthique planétaire (comme le montre le film réalisé avec Caroline Puig sur L’homme entre science et religion).
Enfin, il est intéressant de noter que le CNRS et le ministère de la recherche préparent une ANR (action nationale de recherche) sur le thème « sciences, croyances et société » (thème repris par des associations citoyennes comme INEXENS à Nice par exemple, avec dimensions interreligieuses), dont les têtes de chapitres sont : sciences et religions, conflits et complicités ; épistémologie, croyances et religions ; scientisme, laïcité et idéologies de la science ; sciences et parasciences ; évolution et créationnisme ; utopies, croyances et éthique.
Autant d’opportunités à saisir pour entrer dans une participation à de grands débats citoyens, sans oublier ceux qui se profilent pour les révisions des lois de bioéthique en France. Le point de cohérence en tout cela est évidemment celui du sens de la vie humaine et de sa dignité.
Jean-François Colosimo : « L’unique réponse possible est du ressort du prophétique »
Aux frontières de l’humain nous disent ces géographes de l’extrême humanité que sont les rescapés d’Auschwitz et du Goulag, il n’y a que Dieu ou Diable. D’où ces quelques variations sur un même thème : la science que l’homme se propose comme premier habitus de sa résidence dans le monde passe la science et le monde en tant qu’elle passe l’homme.
1. Traditionnellement, la question de la science se pose d’abord comme une question anthropologique pour la théologie :
face à l’arbre de la connaissance, qui est aussi division entre le bien et le mal, l’homme de la chute éprouve triplement la libido,sentiendi, dominendi, mais aussi sciendi, comme horizon du péché, de la séparation d’avec Dieu qui le plonge dans l’illusion de l’autonomie. L’ascèse, la rupture qu’annonce la metanoïa, la conversion, ce contraire de la paranoïa, portera donc, aussi, sur la raison, lieu de catharsis égal en cela au sexe et à autrui. Tous les oxymores de la théologie négative désignent ainsi clairement une félicité de l’ignorance – au sens de « docte ignorance » bien sûr.
2. Historiquement, se succèdent trois mouvements contradictoires :
a. Tout comme pour ce qui est de la personne humaine et de ses droits, le creuset évangélique, qui a su unir Jérusalem, Athènes, et Rome, favorise originellement l’essor de la science en désacralisant le monde, en le finalisant comme réalité autonome, en accomplissant le ministère d’intelligence du cosmos que le Dieu créateur de la Bible confère à l’homme. Le christianisme arraisonne le logos grec en renvoyant le paganisme à la superstition. Il tempère l’exaltation monothéiste de la vérité causale que le judaïsme et l’islam manifestent volontiers face aux questions éthiques par la centralité de l’Incarnation (« Sur la Croix, Dieu et l’homme sont devenus paradigmes l’un de l’autre », dira Maxime le Confesseur).
b. Avec la réduction du Dieu trinitaire au Dieu des philosophes et des savants, puis au Dieu mort de la modernité, l’homme s’affranchit « maître et possesseur de la nature », puis renoue le pacte antique avec le mythe prométhéen. Le positivisme s’approprie la ratio latine en renvoyant le christianisme à la superstition. Expulsion de l’origine, de l’inouï. Resserrement du monde sur le monde. Conséquence : la science déclare la guerre à la religion en tant que religion nouvelle de l’humanité régénérée par elle-même. Illustration canonique : une narration anthropologique horizontale survient à la verticale et l’annule. Illustration paradoxale : nazisme et communisme nourriront tour à tour des conceptions totalitaires de la science (Libido dominendi).
c. Avec l’effondrement des systèmes de vérité causale, et donc de leur tour caricatural de la divinité, le désarroi gagne la science dans sa libido compétitive. S’impose la postmodernité, cette continuation de la modernité sur le mode de l’échec. Eclatement des savoirs, segmentation des connaissances, marchandisation des expertises : la science ne prédit plus le monde, elle le suit, s’y conforme, et s’y dissous selon la dissolution que lui-même traverse alors dans l’ordre de la représentation. Le passage de paradigme, de la physique à la biologie, de l’univers au vivant, déréalise un peu plus la science, en effaçant la logique de progrès comme les notions de maîtrise ou de limite au profit d’une transformation du mythe prométhéen en mythe d’immortalité. Elle la fait ainsi entrer en collision avec des imaginaires anti- chrétiens, la gnose ou la science-fiction : ce n’est plus le monde mais le corps qui est lieu de la rivalité (Libido sentiendi). Non plus la question de la création, mais de la créature. Et c’est cette irrationalité, éruptive, libidineuse, qui fait rechercher aux physiciens des modèles dans les sagesses orientales ou qui fait proclamer aux biologistes l’impossibilité de l’interdit a priori, qui rend vertigineuse la science contemporaine. Et renvoie le christianisme au relativisme postmoderne.
3. Aujourd’hui, force est d’admettre que
il ne saurait y avoir de science chrétienne ; de surcroît, le créationnisme, l’intelligent design et autres entreprises de raccommodage fondamentaliste déshonorent l’intelligence symbolique à l’œuvre dans le christianisme ;
il faut exercer les plus grandes suspicions envers les syncrétismes « religion et science », dont le caractère est avant tout idéologique ;
la question est strictement politique. Mais c’est parce qu’elle est ainsi qu’elle s’avère délicate. A l’heure où les découvertes scientifiques se révèlent à même de modifier substantiellement, dans leurs applications techniques nos rapports au naître, au vivre, et au mourir, la démocratie d’opinion ne peut subvenir à la crise de sens. C’est la leçon, déjà, de Tocqueville, de l’irrésistible prise de pouvoir des minorités agissantes ; s’y ajoute la démultiplication du marché mondial au sein de la globalisation. A preuve, l’inefficacité des comités nationaux d’éthique face à l’imperium des grands laboratoires de pharmacie internationaux. La science est menaçante en tant qu’elle est désormais menacée par l’argent. Le renoncement, pour raison de prudence éthique, à un seul programme génétique, est–il même pensable ?
L’unique réponse possible est alors du ressort du prophétique. C’est-à-dire d’une parole qui passe d’homme en homme parce qu’elle passe l’homme. Que diraient Bloy, Péguy, Bernanos, entre autres mille exemples, de ces « chimères », surgeons humains et animaux dont on nous assure qu’elles ne représentent pas la monstruosité qu’elles nous inspirent, mais dont on est cependant allé chercher le nom dans les fables antiques, mariant ainsi effusions matricielles et manipulations techniques ? Ecoutons l’un de leurs frères orthodoxes, décédé il y a quelques jours : la planète doit s’exercer, prévenait Alexandre Soljenitsyne, lui-même revenu de l’inhumain, à l’autolimitation, cet exact inverse de l’auto-divinisation.
Mgr Francis Deniau : « Le progrès scientifique est-il automatiquement un progrès humain ? »
Henri de Lubac, dans Sur les chemins de Dieu (Aubier, 1956), cite Mircea Éliade : « On ne voit pas très bien en quoi le fait que la découverte des premières lois géométriques a été due aux nécessités empiriques de l’irrigation du delta nilotique peut avoir une importance quelconque dans la validation ou l’invalidation de ces lois ». (p. 20)
Autrement dit : Ce n’est pas parce que le théorème de Pythagore est né des nécessités de l’irrigation dans le « mode de production asiatique » qu’il ne serait pas vrai que, dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l’hypoténuse soit égal à la somme des carrés des longueurs des côtés de l’angle droit, du moins dans le cadre d’une géométrie euclidienne.
Cette remarque prend au sérieux l’histoire des sciences, le fondement mathématique de la plupart des sciences « dures » (et même des sciences humaines). Une histoire liée aux nécessités d’une société, aux infrastructures économiques d’une agriculture liée à l’irrigation, aux conditions économiques du développement des sciences, si on prend la vie de nos sociétés développées (ne serait-ce que la question du financement). Des nécessités économiques, militaires, politiques conditionnent, permettent ou restreignent la recherche scientifique, et l’organisation, le financement de cette recherche reflètent aussi la structuration politique et culturelle d’un pays… (voir le financement de la recherche et des laboratoires dans les différents pays – avec aussi les organisations internationales).
Elle nous dit aussi que les conditionnements ne valident ni n’invalident les hypothèses, les systèmes ou les théories.
Cependant, cela peut nous rendre attentifs à un certain nombre de questions épistémologiques. Que nous disent les théories scientifiques ? Quel est le cadre épistémologique dans lequel elles sont pertinentes ? Quelles sont les limites dans lesquelles elles sont vérifiables ou falsifiables, susceptibles de validation ou d’invalidation ?
Dans mon itinéraire personnel, il y a eu Paris VIII–Vincennes au début des années 1970. La fameuse question : « D’où parles-tu ? ». Cela donnait, dans l’approche des sciences, une insistance sur l’épistémologie. Dans quel cadre et dans quelles limites une affirmation scientifique est-elle valide ? avec la perception que seule la définition de ce cadre lui donne une véritable dimension scientifique.
Concrètement, à Vincennes, cela donnait le meilleur et le pire : le discours idéologique tournant en rond, ou l’analyse qui relève du fondement de chaque discipline, mais aussi d’une philosophie des sciences, et encore de l’enjeu politique et culturel de la recherche et de ses conclusions.
C’est la délimitation de son champ qui fait la force d’une science, nous disait hier Jean-Claude Ameisen (lien vers la table ronde « Qu’est-ce que l’homme ? »). Le champ philosophique, le champ de la foi sont autres. On peut aborder la même réalité sous des points de vue différents. Chacun a sa validité en restant dans son champ. Il s’agit bien pourtant du même monde, de la même réalité humaine. Et l’approche de foi se laissera instruire et interroger par les apports scientifiques. Il est sûr que nous ne pouvons parler de la personne humaine, de sa liberté, dans les mêmes termes aujourd’hui qu’au moyen-âge. Mais c’est aussi la diversité des sciences ou des approches qui fait notre culture et qui interroge la foi. Comme chrétiens nous n’avons pas à trancher entre approche des sciences cognitives et approche de la psychanalyse, par exemple…
Plus tard, la lecture de T.S. Kuhn, la structure des révolutions scientifiques, m’a beaucoup éclairé. Chaque révolution scientifique est liée à un paradigme culturel, dans laquelle elle peut d’exprimer ; il y a du pensable et de l’impensable dans un état de la culture. Mais la « révolution scientifique » consiste aussi à changer de paradigme, à proposer quelque chose qui n’est pas et ne peut se trouver dans « la science commune », la science habituellement reçue : là on ne peut que développer, affiner, de manière de plus en plus compliquée… Alors qu’une autre approche permettra de rendre compte des phénomènes tout-à-fait autrement, et la plupart du temps de manière plus simple. On peut penser à Copernic/Ptolémée, à Einstein/Newton… Après-demain à ce que sera (peut-être) une théorie unifiée des grandes forces présentes dans le cosmos…
Hier, Jean-Claude Ameisen évoquait les paradigmes nouveaux apportés par Darwin ou Einstein, qui ne brillaient pas par la pertinence de leurs observations, mais par la proposition d’une nouvelle théorie globale.
Encore faudra-t-il que cette nouvelle approche fasse son trou dans une communauté scientifique habituée à la science commune. Et l’on en revient à des phénomènes à la fois sociaux, économiques et culturels… la foi, ou plutôt les habitudes de pensée des croyants en font d’ailleurs partie]
Mais cette citation d’Henri de Lubac est empruntée à un historien des religions, et elle est faite dans un chapitre « de l’origine de l’idée de Dieu », sur les chemins de Dieu.
Au-delà du rapport science et société, nous sommes dans les conditions culturelles et sociales de l’affirmation de Dieu.
L’affirmation de Dieu est analysable dans une critique de la culture. Dans une historiographie sur les conditions de production d’une tel concept, dans une analyse du rôle qu’il joue dans la culture, dans les rapports de classes, dans la construction d’une conception du monde, etc. Dans une approche psychanalytique de la culture comme des processus de sublimation chez l’individu.
Elle peut aussi se confronter avec les théories scientifiques sur l’origine du monde, de la vie, de l’humanité. Avec nos neuro-sciences, qui ne sont ici qu’un exemple parmi d’autres, même si dans la culture présente elles ont une place particulièrement pertinente
Confrontations avec la question du cadre et des limites de validité. Dépassement d’une raison purement positiviste.
Prononcer le mot « Dieu », c’est avant tout ouvrir une brèche dans la culture, dans notre culture toujours tentée de se clore sur elle-même, de prétendre totaliser et saturer les chemins de la connaissance. Dire « Dieu », c’est prononcer un mot qui ne se réfère à aucun référent dans notre monde. « À la mesure sans mesure de ton immensité, tu nous manques Seigneur… ta place reste marquée comme un grand vide, une blessure… ».
La foi chrétienne reçoit du judaïsme la vision de l’homme créé à l’image de Dieu, créé homme et femme, donc non dans la pleine possession mais dans l’incomplétude. A l’image d’un Dieu qui n’est pas l’autocrate autoritaire des images païennes (si répandues aujourd’hui), mais celui qui, loin de se conserver, se donne et se risque – ce qui apparaît pleinement dans l’incarnation et le mystère trinitaire.
À l’image de ce don et de cette action de grâce qui constitue la relation du Père et du Fils, manifestée dans l’histoire humaine de Jésus et dans la communication de l’Esprit… la personne humaine ne s’approche pas dans la revendication d’une autonomie crispée, mais dans le risque de l’amour. Jusque dans la folie et le scandale de la Croix. Dieu se donne à connaître comme le Dieu toujours plus grand, non dans le paroxysme de nos images humaines de la grandeur ou de la sagesse, mais dans la petitesse, la faiblesse et la folie (1 Corinthiens 1-4). Et la dignité de la personne humaine, image de Dieu, apparaît d’abord dans l’être identifié à ce Jésus rejeté, bafoué, crucifié… manifestant dans sa faiblesse et sa dépossession de soi la gloire et le rayonnement de la tendresse de Dieu. La résurrection n’effacera pas la croix ; elle en manifeste le sens. Sur le visage humain du Crucifié rayonne la gloire de Dieu. Sainte Face peinte à bien des reprises par Georges Rouault, et dont le rayonnement se retrouve sur le visage des juges et des condamnés, des clowns, des prostituées, dont le visage rayonne de la même gloire secrète.
Cela nous indique que la dignité de la personne ne s’identifie pas à l’autonomie, à la pleine possession de soi-même, mais à une ouverture à l’Esprit Saint, à l’Esprit de Jésus, reçu du Père, ouverture qui peut se vivre dans la faiblesse et la dépossession de soi. Cela nous indique un chemin de relation et de reconnaissance de l’autre, qui exclut toute comparaison et accueille non seulement ce que je peux connaître, mais ce qui m’échappe et m’échappera toujours de l’autre. (Je l’ai vécu en accompagnant des mourants. Nous l’entendions hier dans l’atelier sur la maladie d’Alzheimer , avec beaucoup d’émotion parce qu’il s’agissait de la relation de plusieurs d’entre nous avec les malades – là où il ne reste plus que ce qui échappe, alors que tout le reste nous est retiré… )
Toutes ces dimensions de brèche et de manque (qui rapprochent l’affirmation de foi et celle de l’éthique agnostique, peut-être davantage encore que ne le disait hier Jean-Claude Ameisen) ne sont pas effacées par la connaissance des réseaux de neurones et du fonctionnement cérébral. Et nous pouvons y reconnaître une dimension admirable non seulement de la création de Dieu mais du pouvoir de l’homme. Selon la réponse de Hegel au médecin qui ne trouvait pas l’âme au but de son bistouri : c’est qu’il prenait le bistouri par le mauvais bout !
Enfin, la foi en Dieu relève de la sagesse, dans la dialectique de la puissance et de la sagesse. Qu’est-ce qui assure le bien de l’humanité ? le respect de l’homme ? Le progrès scientifique est-il automatiquement un progrès humain, éthique ? (encyclique Spe Salvi) Est-il sûr que ce qui est scientifiquement et techniquement possible soit bon pour l’homme ? Toute recherche est-elle à poursuivre ? Et quel contrôle social, politique, démocratique, sur les conséquences techniques de la recherche ?
Nucléaire, éthique de l’emploi, éthique de la dissuasion, rapport des utilisations civiles et militaires, questions du désarmement, traité de non-prolifération, etc.
Brave new world ; recherches sur l’embryon ; quelles limites éthiques, non seulement dans les conséquences de la recherche, mais dans les conditions de la recherche
Éthique en débat et éthique du débat démocratique ; fondements pré-politiques du débat politique sur les questions éthiques (Ratzinger-Habermas)
Nos questions éthiques à propos des neuro-sciences entrent dans ce vaste débat.
Vastes questions… questions en débat… quels repères et quelles conditions pour ce débat dans notre société ? Et quelle place pour les religions dans ce débat « laïc » ?
P.-S.
A venir : le texte du P. Thierry Magnin…