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De l’homme guéri à l’homme modifié, faut-il tout accepter des neurosciences ?

Pour débuter cette Université d’été, Dominique Lang, assomptionniste et biologiste, interroge Denis Sergent, journaliste à La Croix, sur les nouvelles avancées des neurosciences.

Que sont les neurosciences ?

sergentlang-b86cdLes neurosciences sont nées dans les années 1970 aux Etats-Unis et sont arrivées en Europe la décennie suivante, du rapprochement de plusieurs disciplines : physiologie, chimie, génétique, imagerie et psychologie. Neurosciences et sciences cognitives sont synonymes. Leur objectif :« Comprendre comment le fonctionnement ordonné du cerveau contribue à notre langage, notre pensée, notre mémoire, en un mot à notre activité cognitive » (Marc Jeannerod, Le cerveau intime, 2002). Les recherches sur les neurosciences se font essentiellement aux Etats-Unis, au Japon et en Europe, là où il y a beaucoup d’électronique et d’informatique.

 

Quels sont leurs enjeux ?

sergent1-f4025Dans le champ médical, elles offrent bien des applications. On utilise ces techniques pour détecter des troubles, quand le diagnostic médical n’est pas suffisant : dans le cas de la schizophrénie, par exemple, les médecins ont pu, par l’IRM (imagerie par résonance magnétique) qui permet de cartographier les zones du cerveau, mettre en évidence des hallucinations verbales qu’ils ne pouvaient détecter cliniquement… Cela vaut aussi pour d’autres maladies neurologiques comme la maladie de Parkinson ou l’Alzheimer.
Une autre application, non médicale, a fait son apparition : le neuro-marketing. Des psychologues, cliniciens et commerciaux ont mis en évidence que l’ajout de parfums, d’images, voire de modifications des sols dans les supermarchés influe sur le cerveau et le comportement, incite à ralentir, à acheter…
Enfin, citons les manipulations comportementales grâce aux images subliminales : pour la majorité des scientifiques, elles n’ont pas d’effet, mais des travaux sont en cours…

Quels sont les risques ?

lang2-1c669Un chercheur de l’université de Duke en Caroline du Nord avance que ces recherches sont essentielles pour soigner les malades, notamment les personnes souffrant de la maladie de Parkinson. Dans un article, il en donne un exemple : en coiffant le cerveau d’un malade paralysé de la main, d’un casque couvert d’une trentaine d’électrodes, les scientifiques ont réussi à lui faire bouger cette main, rien qu’en lui faisant penser au geste… Dans ce cas, il s’agit d’une démarche destinée à remédier à une maladie. Mais dans le même article, le chercheur se met à extrapoler : « Cette technique peut modifier radicalement la manière dont nous interagissons avec notre environnement ». On passe de l’homme guéri à l’homme modifié. Mais il faut beaucoup de prudence : l’homme augmenté, est-ce nécessaire ? est-ce souhaitable ? est-ce l’avenir de l’homme ?

 

Qui sont les acteurs des neurosciences ?

lang1-802aaParmi les grands chercheurs des neuro-sciences, il faut citer Jean-Pierre Changeux, auteur de L’homme neuronal, 1983. Chercheur à Pasteur, il a beaucoup apporté dans l’identification des neurotransmetteurs, qui transmettent les informations entre cellules nerveuses dans système nerveux. C’est une des personnalités de la recherche en neurosciences, mais il faut préciser tout de suite qu’il représente une école parmi d’autres. Son positionnement est assez clair, c’est un matérialiste : la pensée, pour lui, peut se résumer à un flux de molécules, de signaux électriques.

Autre grand nom des neurosciences, Michel Jouvet, lui, a beaucoup travaillé sur le sommeil, identifiant une onde du sommeil qui a permis de mettre au point une « pilule anti-sommeil » qui sert entre autres aux contrôleurs aériens. Là encore, nous sommes à la frontière entre le médicament et la modification de l’homme.

Il faut souligner qu’entre Marc Jeannerod et Jean-Pierre Changeux, les prises de positions des neuroscientifiques sont différentes. La démarche de Changeux est réductionniste. Marc Jeannerod, lui, se pose déjà la question plus philosophique : notre psychisme se réduit-il à des activités électriques dans le cerveau ? Pour lui, le chercheur, dans son laboratoire, a le droit d’explorer tous les domaines de la recherche, et ce n’est qu’ensuite qu’il doit s’interroger sur les questions éthiques, l’opportunité ou non de publier ses résultats. Pour d’autres encore, comme Jean-Didier Vincent, Jean-Michel Maldamé, Paul Ricoeur, ou France Quéré, on est dans une autre échelle, qui prend en compte tout l’homme : pour eux, la pensée, c’est notre moi, notre individualité.

 

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