Fabrice Bernard, du Conservatoire du Littoral, explique les enjeux écologiques actuels en Méditerranée
Les enjeux écologiques de la Méditerranée concernent les 22 pays de cette zone. Je travaille pour le conservatoire du littoral, un organisme public français. Notre but est d’acheter le littoral, nous avons à l’heure actuelle 10% du littoral méditerranée. Une fois que nous sommes propriétaires, ces terres sont protégées pour toujours et accessibles au public, car nous ne pouvons pas les céder. Je vais donc vous parler plus de cette bande littorale. Elle met en lien 22 pays et permet des échanges. Ce n’est pas une mer qui nous sépare mais un pont qui nous relie. Pour parler de la situation actuelle, il faut faire un tour dans le passé.
Il y a un peu plus de cinq millions d’années, la Méditerranée a été sans eau. Le détroit de Gibraltar était fermé pendant 1 500 ans, et il n’y avait plus d’eau. Plus tard, dans l’aire glaciaire, les glaces du nord sont descendues jusqu’au littoral et ont quasiment éteint toute la biodiversité de cette zone et la Méditerranée a été, à quelques endroits, un refuge pour la flore. Au niveau terrestre et marin, on trouve alors des poches de biodiversité. L’histoire nous montre que la biodiversité de la Méditerranée, unique au monde, s’est construite au fur et à mesure des accidents de la nature.
Il y a, du coup, une richesse géologique très forte, que l’on retrouve au niveau de la flore, ainsi qu’une grande diversité des habitats et des animaux sur la bande littorale. Aujourd’hui, il y a une grande diversité naturelle qui constitue une mosaïque d’habitats, de petites paysages, comme une sorte de patchwork. Les iles de la Méditerranée sont nombreuses, plus de 15 000. Elles sont aussi des refuges et donc des zones héritières d’une grande biodiversité. Ce sont aussi des humains qui ont façonné ces paysages. L’homme a accentué ces mosaïques. Il a eu un rôle positif d’accentuation de la biodiversité au cours des derniers millénaires. Aujourd’hui, la Méditerranée est un hotspot de la biodiversité mondiale : cela signifie que c’est très riche, mais confronté à beaucoup de menaces.
En Méditerranée, alors que ce littoral ne constitue que 1,6% des terres aménagées, on retrouve 10% des espèces végétales connues. La moitié des espèces de Méditerranée n’existe que dans cette zone, certaines vivant parfois uniquement sur une île. C’est aussi un enjeu pour les voies de migrations, et là je vous parle des oiseaux. Les frontières humaines ne concernent pas la nature : c’est pourquoi il faut une vision générale de la Méditerranée. D’ailleurs, là, on travaille sur trois continents, alors qu’il y a peu d’organismes qui regroupent ces trois-là.
Les menaces.
Les menaces sont nombreuses, lourdes et il y a une urgence à agir.
Les changements globaux d’abords. Les habitats sont les premiers menacés. La première menace c’est l’homme et la construction. Le tourisme est un facteur très fort en Méditerranée car on prévoit 312 millions de tourismes en 2025, elle sera alors la première destination touristique. Aujourd’hui, elle accueille un tiers des revenus touristiques mondiaux. Les grands pays restent la France, l’Espagne et l’Italie, mais les pays du Sud renforcent déjà leur capacité d’accueil. Cela détruit parce qu’on construit des hôtels mais aussi des immeubles. Le principe urbain était déjà très fort mais il continue à exploser : au Maroc, en Egypte par exemple ; pour les côtés israéliennes et au Liban, c’est jusqu’à 90% des littoraux qui sont construits. Par exemple, à Toulon et Hyères, on voit une construction des habitations compactes : on perd de la quantité, des espaces verts, mais aussi de qualité, en terme de paysage.
En terme de population, les chiffres de la natalité montrent que, dans les Pays du Sud, on arrive à une stabilisation de la natalité.
C’est aussi un enjeu en terme de pollution. 25% des villes côtières de plus de 100 000 habitants n’ont pas de station d’épuration. Mais aujourd’hui, je mets un bémol : il y a de plus en plus de traitements des eaux polluées en Méditerranée. Là, ce n’est qu’un problème d’argent : on sait comment faire, il faut juste les construire. Le point rouge français reste Marseille.
Les menaces marines. Un tiers du trafic maritime mondial des hydrocarbures passe par la Méditerranée. Il y a 80 déballastages par jour : on demande aux marins de vider et nettoyer leurs bateaux dans les lieux prévus pour cela, dans les ports, mais en France, il n’y en a qu’un, à un tarif exorbitant et avec six mois d’attente.
Il y a aussi les espèces invasives. Les touristes, le trafic maritime génère un impact sur le développement des espèces invasives : elles sont plus facilement amenées en Méditerranée. Non seulement c’est néfaste pour la nature, mais aussi au niveau sanitaire. Cela fait des millions d’années que l’on se déplace sur la Méditerranée. Les phéniciens avaient déjà des comptoirs et pour la nourriture, ils introduisaient des chèvres et des cochons sur les îles. Aujourd’hui, il y a une nouvelle introduction marine toutes les 1,3 semaines. Cela a un impact fort : par exemple, en Israël, 50% des prises de pêches sont des espèces exotiques, comme les méduses. Or, cela ne se mange pas. C’est un enjeu majeur largement sous estimé. Cela impacte aussi la température de la Méditerranée. Aujourd’hui, les espèces exotiques sont 269 dans la zone Est de la Méditerranée, sur toute la zone, cela va jusqu’à 500. Dans ces espèces invasives, le plus impactant est le rat noir. Une amie étudie cette espèce et son impact sur les îles. C’est une espèce qui se développe en empêchant d’autres espèces rares de se développer, notamment en mangeant les œufs des oiseaux. Parfois, nous devons prendre la décision de les éradiquer. La gestion d’espace naturel, c’est choisir quelle espèce on va privilégier au détriment d’une autre.
Une autre espèce invasives, les oiseaux. Par exemple, les goélands se sont développés partout sur le pourtour méditerranéen car ils se nourrissent dans les décharges. Mais du coup, les autres oiseaux plus rares ne peuvent plus se développer. Ce sont les nouveaux pigeons urbains. On s’est rendu compte qu’il y a eu une amélioration de stockage des déchets, et tout de suite, il y a eu une baisse de 20% de la présence de cette espèce.
Changement climatique.
Je n’ai volontairement pas commencé par le changement climatique car ce n’est pas le premier enjeu. Mais cela aura un impact effectivement. Une augmentation du niveau de la mer et aussi des variations de température pour commencer.
Du coup, cela prédispose à accueillir des espèces tropicales, surtout des méduses, avec des méduses mortelles qui arrivent. Des espèces du sud de la Méditerranée arrivent aussi dans le Nord, mais le problème est que celles présentes au Nord ne peuvent pas migrer. L’accélération de ce phénomène de migration est un peu inquiétante. Un autre changement majeur est la sur-pêche. Une étude parue, il y a deux ans, prévoyait qu’en 2048, il n’y aurait plus d’espèces marines pêchables. Aujourd’hui, les pays les plus pêcheurs sont l’Espagne, l’Italie et la France.
Puis, au niveau des ressources d’eau par habitant, il y a du stress hydrique et du stress hydraulique. Certains pays arrivent très bien à gérer l’eau, comme la Tunisie qui en souffre mais qui utilise 98% de l’eau qui tombe sur son territoire aujourd’hui. En Israël aussi, les techniques d’utilisation de l’eau sont très développées. En France, on utilise 150L d’eau par jour et par personne en moyenne alors que ce même français, en touriste en Tunisie, coûte 800 L d’eau par jour.
Ces changements climatiques se traduiront aussi par un accroissement des catastrophes naturelles, dont la « vague de Nice » qui a détruit de nombreuses habitations est un exemple. On se retrouve avec des transformations de paysages, et des transformations sociales. Quand vous vous retrouvez avec de grandes stations touristiques, comme en Tunisie, en Algérie, vous avez un exode rural fort car les gens viennent travailler dans les zones d’hôtels touristiques. Et il y a aussi un problème d’augmentation de la prostitution autour de ces lieux. On se dirige vers une banalisation de paysages mono-urbains, des zones touristiques concentrationnaires, des murs d’immeubles en béton au bord des plages qui bloquent le soleil.
La réponse aux menaces.
Le plan d’action pour la Méditerranée réunit les 22 pays au siège alors qu’on est sur trois continent. C’est une instance politique dépendant de l’ONU. Ils ont des bureaux qui font des prospectives, dont le plan bleu. Aujourd’hui, tous les membres, ces 22 pays, sont d’accords sur le constat. Il y a aussi l’Union pour la Méditerranée, aujourd’hui encore en construction. Sans compter les multiples coopérations bilatérales et multilatérales. En janvier 2008, a été signé le protocole sur la gestion intégrée des zones côtières. On se dirige donc vers une loi sur le littoral au niveau régional.
On retrouve aussi, en Méditerranée, de plus en plus de projets majeurs avec une coordination régionale, où on retrouve des Fonds qui se rencontrent pour éviter d’être mis en concurrence par les pays.
Il y a de plus en plus d’espaces naturels protégés et gérés. Aujourd’hui, on a un patchwork d’espaces naturels mais on veut arriver à un network, un réseau pour que les espèces passent d’un lieu à l’autre. A travers le PAM (plan d’aménagement de la Méditerranée), se développe une voie pour la Méditerranée. De plus, beaucoup d’experts sont invités dans le monde entier pour mettre en œuvre le même type de réponses que ce que l’on a mis en place en Méditerranée, et donc une voie de la Méditerranée se fait entendre.
QUESTIONS
Faut-il tenter de limiter l’arrivée de ces nouvelles espèces en Méditerranée ou un nouvel équilibre pourrait s’installer ?
Lutter contre serait presque infaisable. Au stade de la mondialisation, avec les milliers de cargos qui ont dans leurs soutes de l’eau de l’autre bout du monde, ce n’est pas possible à réguler. Comment voulez-vous fermer le Canal du Suez pour éviter que les espèces de la Mer Rouge remontent ? Sans doute, une évolution des milieux et un nouvel équilibre aura lieu. Cela s’est toujours fait au cours du temps. Le problème est que cela va tellement vite aujourd’hui qu’on ne sait pas si le nouvel équilibre ne sera pas très pauvre en biodiversité, ou même s’il ne sera pas un danger pour la survie de l’homme.
Développement touristique et biodiversité, où se situe le curseur ?
C’est difficile à dire, surtout du point de vue français. Parce que le département du Var est le premier lieu touristique du monde. C’est donc dur de dire à nos partenaires ou aux autres pays de limiter leur développement touristique.
Mais un équilibre peut être trouver selon les lieux. Il y a quelques années, le Maroc avait un programme, le plan azur. A l’époque, ils avaient 5 millions de touristes, dont une majorité à l’intérieur de leurs terres. A travers ce plan, il voulait développer le tourisme de bord de mer. Ils ont donc créé six stations touristiques en précisant qu’ils installeraient des « fenêtres de préservation » autour. Malheureusement, il n’ont pas pu le faire dans tous les lieux où ils l’avaient annoncé. Mais cela montre que l’on peut le faire bien, en respectant les normes internationales si l’on a la volonté.
Sur le conservatoire du littoral, quelles sont vos sources de financement ? Est-ce que vous subissez des pressions ?
Politiquement, il faut rappeler que le conservatoire est né d’un vote en 1975 à l’unanimité. C’est un organisme apolitique mais qui a, du coup, eu un grand soutien dès le début. Notre capacité financière fluctuait avec des négociations avec le ministère de l’écologie. Et, en 2005, l’un de nos plus grands fans, Jacques Chirac, en 2005, nous a fait un cadeau : il nous a donné le produit d’une taxe, celle de la vignette des bateaux, de l’ordre de 35 à 40 millions d’euros et nous ne sommes donc plus dépendants financièrement. Nous avons forcement des pressions. mais notre crédo est basé sur le consensus et la discussion avec les maires. Une des visions de la loi qui nous a créé était que nous achetons les terrains et les protégeons, mais la gestion est donnée aux collectivités territoriales. Les maires sont contents puisqu’ils gardent le contrôle et deviennent les premiers défenseurs. On a aujourd’hui plus de demandes que de capacité financière. On achète entre 3 et 4 milles hectares par an. Pour nous financer, nous produisons aussi du sel, et du vin. Un euro par bouteille est reversé et sert à sauver un kilomètre de littoral.
Y-a-t-il une prise de conscience des populations ?
De plus en plus. Mais, je pense que l’environnement aujourd’hui n’a jamais été aussi mal barré. La plupart des gouvernements du monde disent aujourd’hui « nous sommes dans une crise économique mondiale, ça va bien avec l’environnement mais nous avons d’autres priorités ». Pour un politique, laisser faire la nature c’est affreux : ça veut dire qu’on ne fait rien. Socialement et culturellement, cela représente un territoire non transformé humainement.
Etes-vous en contact avec d’autres organismes ?
Nous avons beaucoup de coopération. Aujourd’hui, nous sommes les représentants français pour développer des actions de protection concrète, auprès d’autres organismes. Nous aidons à développer des structures dans les pays, comme le commissariat national du littoral en Algérie, nous aidons à rédiger la loi marocaine sur le littoral, nous avons accompagné la création d’un organisme régional qui fait le même travail que nous en Catalogne. On travaille aussi en Syrie, ils ont une zone côtière très petite mais nous travaillons avec eux pour protéger les rives aussi de l’Euphrate.
On parle souvent de conflits, d’une Méditerranée divisée, de relations complexes. Dans les instances avec lesquelles je travaille, j’ai noté en 15 ans, une évolution : les gens se connaissent, apprennent à s’apprécier et surtout ont envie de travailler ensemble. Les conflits et les menaces sont particulièrement concentrées. Mais ce que l’on arrive à faire ici, on doit pouvoir le faire ailleurs.
Y-a-t-il de gros problèmes avec les mafias ?
Depuis 15 ans que je fais ça, je ne suis pas persuadé que ce soit si fort que cela. Les plus grosses menaces se sont quand les intérêts économiques rencontrent les intérêts politiques. c’est surtout des problèmes de corruption.
Comment se passent les achats ?
Depuis 2003, nous avons un droit de préemption, et nous avons même un droit d’expropriation. Nous l’utilisons très peu car nous sommes dans le consensus. Mais parfois, nous sommes obligés. Par exemple, à Hyères, nous avons acheté un territoire avec des salins. Propriété d’un grand groupe, il voulait le vendre aux plus offrants pour un golf ou un hôtel. Avec le maire, très attaché à ces salins, nous avons monté un dossier pour faire jouer l’expropriation et garder les salins en « producteurs de biodiversité ».
L’union européenne a-t-elle une politique vis-à-vis de la Méditerranée ?
L’Europe a de nombreuses actions, notamment en tant que membre du PAM. L’Union pour la Méditerranée existait avant, largement financée par l’Union européenne. L’Europe est un acteur financier surtout, mais politiquement assez peu.