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Fil rouge

Frédéric Mounier, rédacteur en chef de Croire aujourd’hui, et Dominique Lang, assomptionniste et biologiste, rappellent les grands moments de la journée d’hier et nous introduisent au thème d’aujourd’hui.

Frédéric Mounier : « Faisons de l’homme un sujet debout »

mounier3-969dcCe samedi, tant qu’il ne fut question que du bruit que fait le Bordeaux au fond du verre, tout allait bien.
Et puis P. Deterre a entrepris la tâche ardue de dédiaboliser ses confrères. Un parfum de scepticisme planait alors sur la salle. Et pourtant, il nous disait simplement que nous aimer les uns les autres était plus intéressant que de se méfier les uns les autres.
A leur façon, les intervenants mis en scène devant les caméras du Jour du Seigneur ont renforcé cette conviction. De toutes, façons, nous a dit Jean-Didier Vincent, « Le poète va faire déraper le système ». Gustave Martelet a… martelé : « C’est la profondeur qui nous sauve… ».
Peut-être alors, pouvait-on se dire que tout n’était pas foutu.. Mais Jean-Louis Schlegel a rajouté une couche à notre vieux fond d’angoisse en nous avertissant : « Les désirs vont devenir des lois », et en nous confirmant que « la religion est aujourd’hui synonyme de tristesse, de non-amour de la vie », et que « le désir d’une vie heureuse, lui, est aujourd’hui porté par les para-sciences, les para-religions et les para-médecines. » Nous le savons bien : la décrue des croyances instituées s’accompagne d’une efflorescence de toutes les crédulités.

A l’atelier « Science et Eglise », j’ai entendu notre bonne vieille mère l’Eglise être accusée, comme d’habitude, de tous les maux de la terre, et d’être une marâtre insupportable.
Et sur ce point, je vais devoir quitter l’info pour le commentaire.

L’Eglise souffre en effet d’un réel problème d’image, tant à l’interne qu’à l’externe. On peut assimiler ce phénomène à une forme d’hyperestésie, phénomène médical caractérisant la persistance de sensations appliquées à un membre pourtant amputé. On critique l’Eglise pour ce qu’elle n’est plus. On la dit riche, elle est pauvre, tout autant en moyens humains qu’en moyens financiers. On la dit puissante, elle est démunie. On la dit autoritaire, elle est perclue de démocratie interne. Certes, en France comme ailleurs, l’Eglise peut redevenir ce qu’elle a été. Le risque est réel de la voir devenir une « tribu de purs ». Mais tel n’est pas le cas aujourd’hui.
Les baptisés ne sont informés de la réalité de leur propre Eglise que par des médias généralistes, eux-mêmes sous-équipés, c’est le moins qu’on puisse dire, en journalistes spécialistes des questions religieuses.

mounier2-7644cAutre sujet d’inquiétude, palpable à travers nos échanges : la place des citoyens face aux scientifiques. Je voudrais vous mettre en garde face à une certaine « innocence citoyenne ». Gardons-nous de saper plus avant les fondements, certes imparfaits, de la démocratie représentative : intermédiaires politiques, élus, parlementaires, comités et commissions. Nous n’avons rien inventé de mieux pour faire cheminer une parole populaire qualifiée. On peut craindre que si les institutions laissent le champ libre à l’expression directe, celle-ci sera monopolisée mécaniquement par des ultra-minorités hyperactives, occupant l’espace médiatique, construisant les nouveaux conformismes, agissant sur les sondages, construisant l’opinion dite publique.
Dans un système démocratique ainsi libéralisé, non régulé, la prime sera au plus fort, au plus efficace, au plus virulent. Sachant que l’on peut constater, me semble-t-il, une convergence objective entre les revendications du système économique libéral, qui a besoin de consommateurs « sans tête » pour fonctionner, et les revendications individualistes libertaires post-modernes, qui récusent tout lien avec un tout sociétal dont ils contestent l’existence même.

Quelques éclats relevés ce samedi …

P. Deterre : « Les grands singes ne construisent pas de villes, ne font pas de télévision. » Ceux qui font certaine télévision et certaines villes ne seraient-ils pas proches des grands singes ?..

J-F. Lambert nous a incité à faire la différence entre le balancier et le balancement…. Une comparaison déclinable ad libitum et riche d’enseignements..

Un diacre astrophysicien : « Savoir qu’on ne saura jamais et continuer à chercher… » Toute une vie, même désormais centenaire, n’y suffit pas…

Deux points de non-retour, évoqués comme non négociables :
L’indisponibilité du corps.. Mais n’est-elle pas déjà mise en cause lorsqu’on aspire à légaliser les mères porteuses ou les bébés médicaments ?
La liberté personnelle… N’est-elle pas entamée de toutes parts par les conditionnements qui nous assiègent et nous façonnent ?…

Un ultime grand défi : L’homme est-il un sujet ou un objet ?
Aux côtés de nos enfants, de nos petits-enfants, de nos lecteurs, de nos auditeurs, de nos fidèles, de nos patients etc…. Faisons de l’homme un sujet debout…

Dominique Lang : « Voilà que la dignité de l’humain se laisse voir »

Comme Frédéric, je note que nous voilà passés de l’objet de notre étude, les neurosciences, aux sujets qui en parlent, aux sujets qui écoutent. Nous avons noté à plusieurs reprises que ce qui fait l’humain, c’est cette mise en interaction, cette inter-subjectivité. Relevons donc qu’il y a une grâce d’être quelqu’un, d’être avec d’autres.

Hier soir, par exemple, n’avons nous pas été frappé par la grâce de cette petite fille qui, avec son animatrice, a osé prendre la parole devant nous ? N’avons nous pas été touché par la réalisatrice du film projeté hier soir qui a du dépassé sa timidité pour révéler ses convictions.Notons au passage qu’il était temps sans doute pour nous aussi d’entendre des voix de femmes, alors que la majorité des scientifiques que nous avons entendu sont des hommes. Il est rassurant de voir pour moi que le milieu scientifique est tenté d’être plus phalocratique encore que le monde des théologiens…

Admirations, étonnements, sidérations. Voilà quelques passages, quelques réactions. Je note aussi au passage que parfois on est tenté de dénoncer le désenchantement du monde… de manière désenchantée. Et puis, il y a eu aussi de la joie, les mimiques d’un scientifique étonné de se voir lui-même dans le film, et même quelques larmes chez des personnes qui, saisissant quelque chose d’important, ont été pris par l’émotion. Il était temps aussi que nous puissions nous souvenir que le cerveau n’est pas que le lieu d’une intelligence trop cérébrale. Il laisse aussi la place à une intelligence émotionnelle.

lang4-e28e7Globalement, j’ai l’impression que la journée passée a été très dense. Nous avons rencontré plus encore la complexité du monde. Les lieux de socialisation sont ils utiles, performants ? voilà que les discours d’hier et avant hier ne vont pas toujours dans le même sens. Y a t-il encore de la place pour une parole agissante, performante ? Notons au passage que nous avons été confronté à l’écoute de différentes paroles. Pour certains, il y a une parole-fleuve, qui nous submerge tout entier.« Mais qu’est-ce qu’il dit ? », ai je entendu hier lors de certaines interventions… peut être une parole qui va nous emmener plus loin. D’autres préfèrent une parole comme un puits… tout cela relève de cette parole, comme un combat où se mettent au jour ce qui advient en nous. Je note en passant une clé proposée par Jean-François Colosimo : le passage de la paranoïa à la métanoïa. Du trouble à la conversion. Lytta Basset, que certains d’entre nous ont croisé il y a quelques jours, évoquait ces combats intérieurs que la parole provoque. En Gn 4, le combat intérieur de Caïn qui n’arrive pas à la prise de parole devant Dieu. Or, celui ci lui demande : « Dis moi ce qui te brûles », dit la traduction proche de l’hébreu. Ce qui nous brûle, ce qui nous défigure. On en a évoqué quelques unes de ces défigurations : communautarisme, marchandisation, réduction à l’objet de nos vies. Comme si nos vies étaient mises en demeure de dire leur valeur par leurs objets.

En passant, notons l’intérêt qu’il y aurait à distinguer davantage ce qui relève de la recherche scientifique et ce qui relève de la technologie. De la quête à l’application. Un écart existe et le danger est de trop le réduire. Quelqu’un racontait hier qu’il fallait bien voir que les immenses projets des programmes de neurosciences et de génétique ont, pour l’heure mobilisé d’énormes masses d’argent, mais aboutis sur peu de médicaments. Il faudra un jour que nous réfléchissions un jour sur cette réalité plusieurs fois décriée ces jours ci : le milieu pharmaceutique est à l’interface de cette recherche fondamentale et de l’objectivation marchande de ces résultats.

On peut remarquer aussi que tous ces scientifiques que nous avons rencontré nous ont narré leurs découvertes. Faire récit du monde nous tient à la bonne distance de ce que nous avons à comprendre, à saisir. Il n’y a pas que le récit publicitaire qui dit ce que nous avons à faire. Le récit « mythique » est bien plus essentiel, plus ouvert au mystère de la grâce d’exister. Nous voilà tout prêt du cœur du projet de narration des Confessions de saint Augustin. Les neuroscientifiques ont plusieurs fois rappelé que ce qui dit l’homme, c’est sa vie intérieure… Sans concordisme, on ne peut qu’être sensible à l’écho qu’une telle affirmation peut avoir dans la spiritualité augustinienne, éblouie par la présence du Christ, comme « maître intérieur ».

Deux échos des forums en passant. Mgr Deniau rappelait, en évoquant le Concile Vatican IIque nous avons a être, comme le dit Gaudium et Spes, des passionnés d’une vie faite de joie, d’espérances, de tristesses et de peines, qu’il s’agit d’accompagner comme le Christ. Dans un autre forum, sur les enfants hyperactifs, le psychologue intervenant suggérait comme clé d’interprétation psychologique (et non moral bien sûr) que l’enfant hyperactif essaye peut être de dire à sa mère qu’il ne sait pas quelle est sa place, rencontrant une mère incertaine, tentée par la dépression. La prise en compte de ces enfants aujourd’hui n’est elle pas quasi métaphorique de notre vie sociale ?

Je finis. Durant la journée hier, j’ai été touché par un fil qui s’est tissé durant les différentes interventions, insensiblement. Il y a des choses nouvelles à voir. Du « suaire de Turin » à la vision de la « planète bleue » en 1969, voilà que notre temps propose une nouvelle théologie du regard qui traverse histoire et nature. Hier, de la cinéaste au scientifique, il y a eu des choses à voir : petits brins d’herbe, film scientifique mais aussi personnes passionnés de l’homme dans les soins palliatifs par exemple. La science et la foi sont « mises en regard », dans un face à face qui nous invite à voir, à l’œil nu, ce qui se trame dans nos existences. Mgr Deniau lui même évoquait la Sainte Face comme lieu ultime de la rencontre humaine. Olivier Clément, dans l’exposition de photos de religieux qui a lieu ici à Valpré, évoque l’aprospos, « celui qu’on ne voit pas », le visage glorieux qui se laisse deviner ici bas. Nous sommes passés de notre cerveau vers l’avant de notre visage. Ultime lieu de connaissance de notre réalité neuronale et humaine. Les yeux sont la porte de l’intelligence. Visage, beauté, figure/défigure, trace comme disait Bruno Chenu. Voilà que la dignité de l’humain se laisse voir.

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