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La Méditerranée, unité ou utopie ?

Avec Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, et le P. Jean-Marc Aveline, directeur de l’Institut catholique de la Méditerranée. Table-ronde animée par Sophie Lebrun, journaliste à « Paris Notre-Dame ».

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Guillaume Duval : « Il y a des chances pour que cela reste une utopie »

Unité ou utopie ? Il faudrait que ce soit l’unité. Beaucoup pensent qu’il faudrait que la rive nord riche et vieillissante s’unissent à la rive sud jeune et sous-développée. Cette union a du sens sur le plan économique et sur le plan du développement. Mais il y aussi de bonnes raisons pour que cela ne marche pas et reste une utopie. Et il y a des chances pour que cela le reste !

On l’a vue dans ce projet d’Union pour la Méditerranée lancée à Toulon par Nicolas Sarkozy le 7 février 2007 dans un très beau discours où il affirmait que « nous sommes aussi les enfants de Cordoue et de Grenade, les enfants des savants arabes qui nous ont transmis l’héritage des anciens Grecs et qui l’ont enrichi. Nous tous, Juifs, chrétiens, musulmans, non croyants, nous sommes les héritiers d’un même patrimoine de valeurs spirituelles qui donne à nos dieux et à nos civilisations tant de ressemblances. C’était fort et fondé sur des réalités très anciennes et très profondes ». Mais deux ans plus tard les réalisations sont très petites.

Alors pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Pourquoi c’est difficile ? Il y a plusieurs raisons.

En dehors de l’Union, le poids lourd c’est la Turquie avec ses 75 millions d’habitants six fois moins riche que nous. Mais le projet d’intégration à l’Union pour la Méditerranée y est essentiellement perçu comme un refus d’intégrer la Turquie dans l’UE, de la parquer à l’extérieur. La Turquie a déjà des liens économiques bilatéraux très forts avec et n’a quasiment pas de relations avec es autres pays de la Méditerranée.

Ensuite, les pays du Proche-Orient ont quelques liens économiques avec l’Europe ou avec les pays du Golfe, mais peu avec le reste de la Méditerranée.

Les pays du Maghreb, qui pourraient être les plus concernés à cause de leurs relations anciennes avec la France, ont déjà des relations bilatérales fortes avec l’Europe, mais quasiment pas de liens entre eux. Le Maghreb n’a quasiment pas d’existence en tant qu’entité économique ou politique.

Enfin, en Europe, ce projet a été développé par Nicolas Sarkozy, porté par Henri Guaino et a été perçu comme une solution de défiance vis-à-vis de l’Union européenne. Il a été la source d’une crise avec l’Allemagne et a été recadré comme un projet de l’ensemble de l’Union. Mais cela pose le problème de la décision au sein de l’Union et de son budget…

C’est la raison pour laquelle de précédents projets comme le processus de Barcelone ont échoué. On propose aux pays du sud de la Méditerranée un système de libre-échange avec l’Union européenne mais dans un contexte où on ne les aide pas sur le plan du développement économique et cela devient très déséquilibré : cela favorise les entreprises européennes plus productives et innovantes que celles du Sud.

C’était un projet développant les échanges commerciaux, sans ouvrir les échanges de personnes. Il est perçu comme obligeant les pays du Sud à faire la police contre l’immigration.

Cette affaire est mal partie – et c’est pourquoi c’est une utopie. Les pays de la Méditerranée sont intéressés à développer des relations avec l’Europe mais pas à développer un espace de relations multilatérales.

Alors, il vient de se produire un événement : avec le fonds IntraMed qui vient d’être créé, mobilisant 350 millions d’euros pour financer travaux d’infrastructures. Ce n’est pas beaucoup. Un rapport vient d’être remis à Nicolas Sarkozy pour créer une banque d’investissement : on peut voir l’amorce d’un décollage de ce projet. C’est souhaitable, mais ça reste des montants très faibles.

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P. Jean-Marc Aveline : « L’utopie stimule l’espérance chrétienne »

La journée d’aujourd’hui nous rend très modestes sur ce qu’on peut dire de la Méditerranée. C’est un mot englobant, mais on a du mal à en faire le tour. Cette question apparemment anodine devient une question épineuse quand on essaye de la prendre sérieusement.

« Méditerranée » est devenue en Europe une espèce de slogan qui peut virer à l’idéologie. Ce terme peut être dangereux mais aussi mobilisateur. Une distance peut s’accroître entre ceux du Nord et du Sud. La Méditerranée est une mer difficile à appréhender : trop étroite pour séparer, trop large pour confondre.
Mais être homme c’est avoir de l’utopie !

Alors quel lien entre l’utopie méditerranéenne et l’espérance chrétienne ? Pour moi quatre conditions pour que la Méditerranée fonctionne comme utopie positive :

  • La reconnaissance de l’histoire. Il faut reconnaître ses gloires et ses zones d’ombres. Qu’on reconnaisse que cette mer a été le lieu, dans l’histoire d’un certain nombre de souffrances. Je suis né en Algérie, aîné de la quatrième génération. Je suis parti en 1962 : pour moi la Méditerranée c’est d’abord une histoire de souffrance. Il ne faut pas oublier que la Méditerranée charrie des histoires de souffrances : il y a une histoire des vaincus de la Méditerranée que ce soit du Nord vers le Sud ou du Sud vers le Nord.
  • L’existence d’une dimension éthique. Une utopie ne dit pas quel type d’engagement est utile ici et maintenant pour l’avenir. Elle doit se traduire par quelque chose de l’ordre de l’engagement moral ou éthique. Quel est mon prochain dans la ville méditerranéenne, surtout à Marseille où le prochain est multiple ? L’utopie entraîne des engagements précis de présence, de solidarité, de petits pas…
  • Une dimension symbolique. Maire de Marseille, M. Vigouroux a créé Marseille Espérance. C’est symbolique : ce sont des photos où le maire serre la main du grand rabbin, du grand mufti et de l’archevêque. Cela ne résout pas les problèmes, mais permet de les éviter… Quand un conflit éclate quelque part, cette photo montre que ce conflit ne s’importe pas chez nous. Elle interdit à quelqu’un de se targuer de son autorité pour tenir un discours de violence.
  • Une dimension spirituelle. Si vous le regardez de ce point de vue, l’expérience de la pluralité des cultures en Méditerranée, du brassage des croyances, du choc des cultures éventuellement, cela vous renvoit à la question du sens de la différence. Quelle est le sens de la différence religieuse ? Jean-Paul II l’avait aperçu. On se souvient d’Assise.
    C’est aussi ce que se demandait le P. Christian de Chergé : quel est le sens divin de ce qui nous sépare ? Pour lui, c’est divin donc on doit accepter de ne pas le savoir. Mais ce qu’on ne peut savoir, on peut l’espérer : un jour viendra où, réunis dans la Maison du Père, nous comprendrons mieux comment des fidélités à des normes de foi différentes nous réunirons. Enfin, ce que nous pouvons espérer, comme chrétiens, il nous revient de l’incarner…
  • Le dialogue n’est pas quelque chose qui va de soi. D’abord parce qu’il nous est souvent imposé par la vie. Mais le dialogue profond est un choix.
    Rappelons-nous le dialogue Moise avec Dieu, en Deutéronome 30 : « Tu choisiras la vie » Il pourrait se se décliner en : « Tu choisiras le dialogue », parce que Dieu a choisi ce mode là pour te parler. Me voilà parti de l’utopie pour arriver à l’unité. L’utopie stimule l’espérance chrétienne. Elle rappelle la vocation de l’Eglise à l’unité.

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