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Entretien avec Jean-Guilhem Xerri : “Les Pères du désert nous donnent le mode d’emploi de notre âme”

Le journaliste et blogueur Robert Migliorini s’est entretenu avec Jean-Guilhem Xerri. Ce dernier, psychanalyste et biologiste médical, est l’auteur de l’ouvrage “Prenez soin de votre âme”. En juin prochain, il animera également le fil rouge des trois journées de notre université.

Comment le psychanalyste et biologiste médical que vous êtes a été et est confronté à la question des maladies, de la perte de sens,  et de la « santé de l’âme » ?

La pratique clinique psychothérapeutique amène à recevoir des personnes qui, au travers de difficultés psychologiques, expriment souvent des interrogations existentielles : un pardon difficile, une colère qui ne passe pas, le sens donné à son travail, les priorités à reconsidérer après l’expérience de la maladie grave, un deuil à métaboliser, des phases de vie à traverser comme l’arrivée d’un enfant ou la retraite par exemple. D’autres souffrent d’habitudes de vie qui ne respectent plus leur équilibre intérieur avec des conséquences multiples comme la dépendance aux écrans, une sexualité réduite à une décharge pulsionnelle, un rapport excessif au travail ou à la consommation. Et de plus en plus, un sentiment de mal-être ou d’inquiétude indéfini.

Comment avez-vous découvert ce chemin d’intériorité à l’école des Pères du désert ?

Comment en expliquez-vous la validité, l’efficacité, désormais au regard d’autres techniques et thérapies ?Ces manifestations pointent toutes vers la souffrance de notre âme. Or si les psychothérapies et la pharmacologie sont précieuses, elles ne permettent pas de la « guérir ». Et pour cause, ces troubles « existentiels » ont leur origine au plus profond de nous, au-delà de notre biologie et de notre mental. Ils renvoient à des tensions intérieures que les plus grandes traditions spirituelles de l’humanité ont identifiées, explorées et accompagnées. Leur soin relève non pas tant d’un traitement que d’une Sagesse de vie. Il est des Maîtres de Sagesse plus sûrs que d’autres : les Pères du désert sont de ceux-là. Ils ne sont pas des coachs parmi d’autres. Ils représentent quatre siècles d’expérience qui ont été à l’origine de tout le monachisme et inspiré les fondamentaux essentiels de la vie intérieure. Ils nous donnent le mode d’emploi de notre âme. Et aussi, ils nous indiquent les maladies d’origine spirituelle dont elle peut souffrir. Cette science de l’âme qu’ont développée les Pères du désert ne se substitue pas aux approches actuelles. Par certains aspects d’ailleurs, leurs pratiques rejoignent la psychanalyse et les thérapies cognitives-comportementales. Leur apport essentiel et déterminant est d’élargir le champ de la santé intérieure. Elle est considérée non pas seulement comme une affaire de bien-être individuel mais d’équilibre de toutes nos dimensions corps-âme-esprit, autrement dit d’unité intérieure profonde et de relation avec ce qui nous fait vivre en profondeur et avec les autres. Biologie, psychologie, philosophie sont donc à mobiliser pour traiter de « psy et d’intériorité ».

Comment votre ouvrage s’adresse-t-il autant aux croyants qu’aux autres ?

Un des intérêts majeurs de l’approche des Pères du désert est qu’elle est fondée sur une anthropologie, c’est-à-dire une connaissance fine de l’anatomie et de la physiologie intérieures de l’Homme. Elle ne requiert pas d’abord d’adhésion confessionnelle, mais seulement le désir de chercher des réponses à la question de notre intériorité et de son soin, en s’appuyant sur un patrimoine solide. Le christianisme appelle pour certains aspects la foi, pour d’autres, la seule raison. C’est celle-ci qui sera mobilisée dans cet ouvrage. Premiers véritables thérapeutes, ceux qu’on appelle les « Pères du désert » ont élaboré une classification, une démarche diagnostique et des recommandations thérapeutiques des maladies de l’intériorité, comme d’autres l’ont fait pour les maladies du corps.

Comment la grande tradition chrétienne rejoint- elle nos contemporains ?

Pourquoi l’Église catholique et les croyants doivent-ils s’inquiéter de cette quête d’intériorité et y répondre de nouveau ?Nous n’avons jamais autant été fascinés par les questions « psy » : développement personnel, spiritualités orientales, religiosité laïque, méditation de pleine conscience, stages de guérison intérieure, séminaires de valorisation des ressources mentales, l’offre sur l’intériorité ne manque pas ! Elle répond à notre fascination pour tout ce qui touche au mystère de notre personne. Parallèlement la souffrance « psy » explose. En témoignent le nombre de dépressions, le taux de suicides, l’augmentation des addictions, la consommation de psychotropes, les burn-out, … La tradition chrétienne apporte un éclairage particulièrement pertinent et utile : d’une part une vision de l’homme qui reposent sur une distinction, une articulation et une unité claire entre le corps, le psychisme et le spirituel ; d’autre part des pratiques d’équilibre intérieur, qui sont diverses et éprouvées : pensons aux maîtres du Carmel, à l’école ignatienne, aux enseignements des Pères du désert, à maître Eckhart ou encore à l’expérience intérieure dont témoigne si vivement saint Augustin … Il y a dans la tradition chrétienne des trésors, trop méconnus, pour connaitre et vivre notre intériorité.

Par quels exercices pratiques peut-on commencer « le sauvetage et le soin de nos âmes » ?

Les Pères du désert recommandent d’intégrer concrètement dans sa vie trois pratiques : le service, la sobriété et la méditation. Le service d’abord car fondamentalement l’homme s’épanouit quand il donne et quand il aime. Autrement dit, sortir de son narcissisme et se tourner vers les autres. La sobriété ensuite, c’est enlever le superflu, c’est se contenter du juste besoin, de la juste mesure. C’est se tenir éloigné de ce qui pourrait perturber l’âme et rompre l’équilibre esprit-âme-corps. Aujourd’hui, il y a pléthore de perturbateurs de notre intériorité : le bruit, les images, la publicité, la surabondance matérielle, l’érotisation, la dictature de la disponibilité permanente, etc… Le Pape François nous appelle déjà à une « sobriété heureuse » dans son encyclique Laudato Si. La méditation enfin, dans la mesure où elle concourt à développer notre qualité de présence aux autres, à soi-même, au monde et à quitter le mode des ruminations intérieures ou de l’activisme épuisant.« Assieds-toi, fais silence et apaise tes pensées » nous prescrit Abba Arsène. Et parfois, nous pouvons avoir besoin d’être aidé pour entrer dans ce changement de modes de vie !

Cet entretien est à retrouver dans le prochain trimestriel de l’Assomption et ses œuvres.

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